Le Maroc des origines s’était paré des attributs de l’universel

Image de couverture: 
Fig 4

L’évolution géologique globale du pays a échafaudé un noyau ancien considérable, qui en a préfiguré les trois quarts du territoire. Pendant sa longue évolution, il s’était essayé à toutes les structures, et en a gardé une densification générale de fond, et un large émoussé de surface. Des boucliers et massifs anciens, précambriens et paléozoïques, de taille régionale, se sont patiemment élaborés, tout au long d’éons planétaires entiers, à travers 95% de l’âge de la Terre (Fig. 4). Pendant cet espace de temps, qui semble se confondre avec l’éternité, ce noyau dur de la géographie nationale n’a eu de cesse, au terme du Primaire, qu’il n’eût fait le tour du monde, et qu’il ne se fût paré de marques insignes d’universalité.

Insertion du Maroc naturel africain

L’intégralité du pays, au S de la grande barrière du Haut Atlas, essentiellement saharienne et présaharienne, est structurée par ces substrats anciens, plus ou moins recouverts de matériaux récents. Il s’agit du Maroc proprement africain, un haut lieu paléogéographique mondial des terres émergées quasiment depuis toujours, car situé au cœur de ce qui devait être alors la marqueterie continentale du Gondwana, supposé avoir rassemblé tous les continents austraux, depuis l’Amérique du S jusqu’en Australie, continent antarctique et péninsule indienne compris.

L’Anti-Atlas : dépositaire des roches les plus anciennes et des premiers balbutiements de la vie

La partie archéenne, faite de matériaux métamorphiques gneissiques, est une des portions les plus anciennes du Globe ; elle est dite Bouclier des Regueibate. Elle a été modelée par une surface d’érosion polyphasée indéfiniment longue. Le Maroc en possède l’extrémité NW, qui couvre la moitié SE du Sahara Atlantique. Pour le reste de la région saharienne, le socle porte des plateaux conformés en hamadas, plus ou moins riches en phosphates et en schistes bitumineux. Globalement, les structures sont calmes, et les altitudes dépassent rarement les 400m.

C’est seulement au N de la zone que, l’Anti-Atlas, en position attenante à l’Accident sud-atlasique, présente des allures de véritable montagne, même si ce n’est qu’un massif ancien primaire, aux formes lourdes le plus souvent, organisé en vaste dorsale d’axe général SW-NE. Mais, pour qui s’engage dans ces espaces arides du Sud, il s’agit d’une montagne de dernière chance, où les altitudes arrivent à dépasser, providentiellement dans un substrat rigide, les 2000m, avec notamment l’Adrar n’Aklim (2531m), au-dessus d’Igherm, dans ce grand pays rural du Souss, divers et coloré, ou avec le Jbel Saghro (2712m), déjà dans la mouvance orientale, plus saharienne, des belles vallées oasiennes du Draa et du Tafilalet. L’Anti-Atlas, dans toutes ses variantes morphologiques et climatiques, double pratiquement le Haut Atlas, en nettement plus modeste, il est vrai, et présente son point culminant à 3304m au Jbel Siroua. Celui-ci est une sorte de point de suture volcanique massif, récent et excentrique, qui parvient à accrocher la petite chaîne à la grande. Il s’agit ainsi d’un étranglement majeur dans la longue dépression sud-atlasique, séparant, magistralement, la plaine alluviale du Souss, ouverte sur l’Atlantique et intensivement agricole, et le plateau pastoral de Ouarzazate, nettement plus aride, car tourné vers le continent.

Cet ensemble montagnard, de grande originalité, est crevé de multiples boutonnières précambriennes. Ce sont autant de formidables regards, ouverts sur la mémoire de la terre. Ils permettent de découvrir encore, alors qu’on vient tout juste de fouler le bouclier primordial, sanctifié par l’âge absolu, les premiers secrets de la vie, cette fois, réunis et figés dans la roche. La vie n’était alors archivée que dans les beaux faciès de calcaire laminaire, stromatolitiques, justement construits par des bactéries et algues bleues encroûtantes, ou cyanophycées, qui sont les formes les plus primitives et les plus simples conservées, de la substance vivante, qui nous soient parvenues. En effet, après le premier milliard d’années de l’existence de notre planète, où des continents éphémères et sans grande consistance, étaient ballottés par les laves de matière en fusion, dans une ambiance anoxique ; un autre milliard et demi d’années a été entièrement consacré à la précieuse préparation de notre atmosphère vitale, justement par le fonctionnement de ces modestes organismes procaryotes. Unicellulaires, sans noyau individualisé, ni reproduction sexuée, mais capable de photosynthèse, ils ont su déployer leurs représentants en exclusivité, sur quasiment le tiers de l’âge de la terre, pour créer le premier puits biologique de carbone, ainsi qu’un gigantesque substrat, processeur d’oxygène pour les générations futures.

Après avoir été les seuls dépositaires de la vie pendant tout ce temps, ils sont rentrés dans les rangs pour n’être plus que l’un, et le plus rudimentaire, des cinq règnes des choses vivantes, devenues très complexes. Cependant, pour ces organismes particuliers, uniques dans leur pérennité, et parce qu’ils sont bâtisseurs de pierre, d’infatigables colonies d’algues encroûtantes ont continué à tisser de la roche stromatolitique, apparemment sur le même modèle, jusqu’à nos jours, et de toutes les couleurs (Fig. 2 et 3).

Coupe micrographique
Fig. 3 : coupe micrographique dans les colonies algaires et lattes calcitiques (Fassi, 99)
Fig. 2 : Faciès calcaire stromatolitique récent, près d’El Hajeb

MAROC : EN SURVOLANT L'ATLAS - Le monde vu du ciel - 01/01/2008 - 01min06s - Réalisateur : Pierre Brouwers (Source INA)

Le Maroc primaire traverse toutes les latitudes, des polaires aux intertropicales

Le pays a dû investir tout le Paléozoïque, ou Ére primaire, pour entreprendre l’extraordinaire périple, à travers toutes les zones climatiques, attesté notamment par le baptême des latitudes extrêmes, intertropicales d’une part, polaires de l’autre.

  • Vers la fin de l’Ordovicien, le Maroc est centré sur le Pôle Sud

Vers la fin de l’Ordovicien, deuxième système du Primaire, il y a moins de cinq cent millions d’années, la portion mobile de la lithosphère, portant le pays et alentour, faisait carrément office d’Antarctide. Le vrai Pôle Sud était alors centré sur le SW marocain, et d’immenses glaciers devaient s’écouler vers les emplacements actuels du Détroit de Gibraltar, du Golfe de Syrte et de la Guinée. Héritages de moraines et de varves peuvent encore être observés, dans l’Anti-Atlas (Fig. 5).

Le Maroc au Pôle Sud, à l’Ordovicien Supérieur
Fig. 5 : Le Maroc au Pôle Sud, à l’Ordovicien Supérieur (Stanley, 85)

  • Au Carbonifère, le pays, déjà trait d’union entre les continents du N et du S, était placé en plein sur l’équateur.

L’immense Gondwanie, l’Afrique au milieu, le Maroc en pointe au N, était partie à la rencontre de la Laurasie, faite de la coalescence de l’Amérique du N, du Groenland et de l’Europe occidentale hercynienne. L’Océan transversal, qui les séparait, rétrécit. Dès le Carbonifère supérieur, autour de 300 millions d’années avant le présent, ils finissent par se réunir en un supercontinent, la Pangée.

Le Maroc se trouve enchâssé au milieu du vaste système. Il est, de plus, parfaitement sur l’équateur, et destiné à y demeurer pour la centaine de milliers d’années qui a suivi. La tectonique hercynienne, rendue particulièrement active par le rapprochement des continents, a maintenu émergées les belles forêts de l’époque, empêchant l’élaboration des gisements houillers pour la plus grande part du territoire national. L’Oriental ayant fait défaut au soulèvement, ses terres amphibies ont servi de réceptacle au bois mort des forêts d’amont, et ont préparé les charbonnages de Jerada.

  • La Mer Mésogée, à la fin du Paléozoïque, est à l’origine du projet crucial de la Mer Méditerranée. Le Maroc en est la pierre angulaire

L’océan ainsi étranglé, place le Maroc en verrou occidental d’une mer encore largement ouverte à l’E, et qui, dès ce tournant d’ère pour le Mésozoïque, est appelée à rapprocher continuellement ses rivages (Fig. 6). Sur le fond général de l’océan archaïque, naît une Mer Téthys, ou Mésogée, qui se met à l’œuvre, notamment, pour l’édification des chaînes atlaso-alpines. En fait, c’est un monde nouveau qui s’annonce, celui de la création progressive de la Mer Méditerranée, modeste par ses dimensions, importante par ses implications.

La Mer Mésogée à la fin du Paléozoïque

Fig. 6 : Le Maroc en déclencheur du projet de constitution de la Méditerranée, dès le Paléozoïque terminal (Bambach, 80)


Galerie: 
Le Maroc au Pôle Sud, à l’Ordovicien Supérieur
La Mer Mésogée à la fin du Paléozoïque