La musique traditionnelle d'art

Image de couverture: 
Musiciens juifs

C’est un répertoire codifié, fermé ou relativement fermé à l'improvisation et exclusif des modes et rythmes qui lui sont extérieurs. Sa localisation citadine n'est qu'un critère supplémentaire à sa définition. Elle englobe les formes diverses du répertoire andaloussi au Maroc, du Malhoun, ainsi que les rwayes du Souss.

L’art d’obédience andalouse

L’occident musulman qui groupait le Maghreb et l’Andalousie, placé pendant certaines périodes sous la même autorité temporelle (les almoravides ou les almohades),  se distinguait du Machreq, sur tous les plans de la production culturelle et artistique.
La culture musicale de style andalou a laissé ses traces non seulement dans ses deux expressions directes (al ala et al gharnati) mais également sur la pratique musicale des juifs du Maroc, sur le malhoun, sur le sama’ et même sur certaines formes de chants populaires.

Al ala (ou tarab al ala)orchestre de Tétouan en 1990 avec Temsamani et Chekkara

C’est un corpus de noubas ou cycles de chants et d’interludes musicaux issus d’une tradition musicale remontant à plus d’un millénaire. Tardivement compilé par Mohamed Al Hayek en 1799, ce corpus est depuis lors le manuel de référence de «tarab al¬ âla», il contient alors onze nûbâs, passant chacune par cinq « mizans » ou  phases rythmiques ; une nouba complète peut durer entre six et dix heures, c’est pourquoi les orchestres n’en jouent que des extraits ou bien se contentent d’une phase rythmique.

Al gharnatiMaître Ahmed Piro, Gharnati de Rabat

Les villes d'Oujda et de Rabat portent encore le flambeau d'un style particulier de musique andalouse qu'on a coutume d'appeler « at-tarab al-gharnâti » (en hommage à Grenade qui a été le dernier bastion arabe en Andalousie). Le style de Grenade existait bel et bien dans des villes comme Fès et Tétouan, mais le développement moderne de ce style au Maroc est dû, notamment à des familles de Tlemcen qui sont venues s'installer au Maroc (Oujda, Rabat, Fès et Tétouan) à la fin du XIXme siècle  et au début du XXme siècle.

La pratique juive de la musique andalouseMusiciens juifs de Meknès

On sait que les juifs s'étaient mêlés aux Berbères longtemps avant la conquête du Maghreb par l'Islam ; on sait aussi qu'avec la chute de Grenade en 1492, des milliers de Juifs ont fui l'Inquisition espagnole en se réfugiant au Maroc. Ces Juifs andalous (mégorachim) en opposition avec les techabin indigènes, vont habiter les grandes villes et y cultiver avec raffinement des métiers et des arts. 
Les Juifs ont été, en Espagne comme au Maroc, de fervents adeptes de la musique andalouse ; dans l’exemple des pioutîms, il est généralement fait un choix libre et varié des mélodies andalouses, sans aucun instrument d'accompagnement, de manière à obtenir une suite bien ordonnée obéissant au principe de l'accélération progressive. Un ancien recueil cité par Chottin (tableau de « la musique marocaine », p. 151), dénombre quatorze trîq.

Le samâ'Ensemble de samae à Fès

C'est la deuxième face de la musique andalouse (sa correspondance vocale), celle qui s'approprie le corpus religieux et mystique tout en gardant les modes andalous.
Le samâ' est cultivé dans le raffinement de certaines zâwiyas et englobe en fait trois genre: al-madîh (poèmes panégyriques), assamâ' au sens strict (l'audition pieuse) et al-inshâd (chant individuel).

Le malhounOrchestre de melhoun à Erfoud

C’est la plus élaborée des formes de versification en arabe dialectal marocain, mais aussi un vaste corpus de poèmes que perpétue une tradition de chants et de manuscrits, et qui, au fil des siècles passés, s'est distingué par ses prouesses poétiques et métriques. Le terme malhoun nous renvoie à deux significations complémentaires : la même racine trilitère peut générer lahn (mélodie) et lahn (écart par rapport à la norme grammaticale). Le centre premier du malhoun est, de l'avis des spécialistes, la région du Tafilalet. De là sont issus les grands poètes qui, en émigrant vers les grandes villes du Maroc, permirent au malhoun de rayonner et de se développer avec le soutien d'un corps d’artisans et de métiers d'art mais aussi avec le contact des autres arts citadins.

Les RwayesLe groupe de Haj Belaid à la fin des années 1920

Des poètes chanteurs itinérants sont originaires d'une vaste région centrée sur le Souss, c'est-à-dire sur tout le territoire limité par les confins Nord du Sahara, la baie d'Agadir, le sud du Haut Atlas et la province de Ouarzazate.
Le râyes en tant que poète doublé d'un musicien compositeur et chorégraphe, maîtrise alors la séance musicale complète, et puise dans un fond de mélodies de base et dans une organisation rythmique inchangeable. Trois groupes de chants alimentent le répertoire des rwâyes :

  • la musique villageoise variée et qui gravite autour de la danse collective ahwâsh;
  • la psalmodie du Coran et des textes islamiques récités et diffusés par les tolba (dans les écoles coraniques);
  • la musique et les rythmes des gnâwa ;

Les rwâyes reproduisent les techniques de versification et la richesse rhétorique de la poésie berbère qui use souvent du symbolisme: rimes et assonances, imagerie recherchée, et vocabulaire spécial, concourent à charmer les connaisseurs et le grand public.
L'orchestre des rwâyes comprend deux groupes d'instruments :

  • les cordophones: ribâb monocorde (exclusif aux rwayes) et loutâr;
  • les percussions : naqoûs, nwiqsât et rarement le bendîr alloûn.

Râyes Bel'îd considère deux groupes de pas, herd (battements de talons) et tamerrîqt oûdar (claquement du pied). La danse est complétée par des mouvements et attitudes diverses, des révérences, des génuflexions, le tremblement des épaules, l’élévation de la jambe fléchie, des évolutions en rangs et en cercles.



Galerie: 
orchestre de Tétouan en 1990 avec Temsamani et Chekkara
Musiciens juifs de Meknès
Maître Ahmed Piro, Gharnati de Rabat
Ensemble de samae à Fès
Orchestre de melhoun à Erfoud
Le groupe de Haj Belaid à la fin des années 1920
Rkia Demsiria