« Le confinement était un moment très étrange et très intéressant à la fois ».
E-taqafa : Comment avez- vous vécu le confinement ?
Christian Mamoun : J’ai passé mon confinement au Maroc, pour être proche de ma famille. J'étais très heureux d'être au Maroc pendant le confinement car je trouve que la crise a était très bien gérée. Pour le bien de nous tous, nous étions contraints de rester chez nous, je me suis déplacé dans mon esprit et c’était un voyage assez épuisant et pourtant stimulant. J'ai redécouvert des anciennes passions comme la composition de musique, l'écriture de chansons et le dessin. Je me suis mis à lire énormément sur les grandes divas du monde arabe dans les années 20. C'est un monde qui m'intéresse beaucoup ces derniers temps. Le confinement était un moment très étrange et très intéressant à la fois.
E- taqafa : Est- ce que le confinement a eu un impact sur votre art ?
Christian Mamoun : C’était surtout une grande parenthèse. Souffler, s'écouter, écouter les autres, évaluer, mettre en question, évoluer. J'ai décidé de ne pas me laisser rentrer dans une folie de production mais plutôt vivre pleinement ce moment si particulier en pleine conscience. Le monde s'est arrêté. Il fallait faire une pause, respirer et observer ce qui se passait. Ce n'est pas terminé et on navigue toujours. Mais maintenant avec un peu de recul je me rends compte que cela a libéré en moi une volonté de développer certains arts que j'avais laissés trop longtemps de côté. La vie est courte et il faut la vivre pleinement et suivre nos passions jusqu'au bout.
E-taqafa : Vous avez récemment été honoré d'un prix pour la photographie. Qu'est ce que cela apporte au travail ?
Christian Mamoun : Oui j’ai récemment gagné le prix « un certain regard » aux nuits photographiques d’Essaouira. C'est un très beau festival organisé par Hakim Benchekroun. Ma série HOME, qui a été primée, est très personnelle. Travailler sur une série est généralement accompagnée de doutes et de questionnements, donc gagner un prix est une confirmation que ce travail a un droit d'exister et devrait être poursuivi. Ceci m’encourage et me donne l'élan pour continuer. Le Festival était aussi l'occasion de rencontrer beaucoup de monde et il y a de solides amitiés qui se sont créées pendant cette période. Suite à ce prix j'ai été invité en septembre au festival photo de Pierre Vert en France, auquel j'ai hâte de participer.
E-taqafa : Quelle est la particularité de vos photogarphies ?
Christian Mamoun : Il y dans mes photographies une certaine sincérité. Je capte ou mets en scène des moments vécus. Ça se situe quelque part entre la mise en scène et le documentaire. Je reste en revanche toujours observateur et je ne participe jamais.
E-taqafa : Pour vous, quelles sont les caractéristiques de la photographie réussie ?
Christian Mamoun : Pour moi il n'y a pas de bonne ou de mauvaise photo. Il y a ce que l'on voulait dire et ce que l'on dit. Une photo doit être compréhensible sans beaucoup d'explications. Si ma photographie n’évoque et ne stimule rien chez le spectateur elle est ratée.
E-taqafa : Comment préparez -vous un shooting?
Christian Mamoun : Tout dépend vraiment du type de shooting dont il s’agit. Certains doivent être préparés des mois à l'avance avec beaucoup d'équipement et d’assistants tandis que d'autres peuvent s'organiser à la dernière minute. Pour moi cela ne change souvent pas grand-chose à la prise de vue elle-même, c'est plutôt le contexte de la création et la destination de l'image qui mènent à se comporter différemment.
E- taqafa : Comment est née votre passion pour la photo ?
Christian Mamoun : J'ai toujours aimé la photo, mais ma première grosse claque était une exposition de Richard Avedon à Berlin qui m'a vraiment marqué. La première fois que j'ai fait de la photo c'était pendant le tournage de Kanya Makane de Saïd C Naciri, mon cousin, qui m'a donné la passion pour l'image, puis en regardant mert & Marcus dans Vogue. Ensuite ça a continué à Paris avec mon Olivier Löser, photographe aussi, avec qui on parlait pratiquement que de photo. Enfin j'ai appris ma profession en assistant Luis Monteiro à Londres et à New York.
E-taqafa : D'où puisez -vous l'inspiration ?
Christian Mamoun : Je la puise dans la vie de tous les jours. Je ne crois pas vraiment au spectaculaire. Ou plutôt je crois que la vie de tous les jours est spectaculaire si on la vit pleinement.
La réalité dépasse souvent la fiction. Il faut donc tout simplement la regarder et la vivre comme elle vient, et alors c'est passionnant. J'en parle d'ailleurs dans un film sur un long voyage que je suis entrain de terminer, où l'aventure est avant tout des moments d'attente, comme l'attente sur un quai de gare entre deux trains. Le moment d'action est finalement minime. Mais moi, ces moments-là d'attente, je les trouve justement les plus intéressants artistiquement parlant.
E-taqafa : Pourquoi avoir choisi Paris ?
Christian Mamoun : Paris c'est une histoire d'amour et de haine. C'est un peu comparable à une histoire de couple avec une personne physiquement très belle mais ayant un très mauvais caractère ! On s'embête, on en a marre, on se rejette et puis on se regarde et on se dit : wow elle est quand même belle...je sais pourquoi je suis là… il y a quelque chose d'inexplicable qui rend totalement accro et qui rend les départs difficiles. Mais depuis un certain temps je vis entre Rabat et Paris. J’ai l’impression que c’est comme une partie de ping pong où l'un répond à l'autre et à certains moments on a même l'impression que Paris est juste une extension du Maroc tellement beaucoup de gens vivent entre les deux !
E-taqafa : Vos projets ?
Christian Mamoun : J’ai quelques projets qui sont pour l'instant en suspens, à cause de cette crise que nous traversons dans le monde.
Mais j'ai très envie d'approfondir mon travail sur l'intimité et la question du chez soi. Je trouve que pendant et après le confinement nous avons tous compris à quel point le chez soi est important.
Je travaille et développe actuellement ce projet HOME afin de le rendre notamment pour large et plus collaboratif. Et comme tout est possible dans la vie si on y croit suffisamment, je cherche actuellement des financements pour réaliser ce projet qui me tient à cœur.