L’art a contribué à mon intégration

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Mohammed Zouaoui porte une attention incessante aux variations de la lumière et des couleurs. Il nuance les ombres et les lueurs afin de créer une impression par la représentation des différents motifs : cathédrales, mosquées, fleuves, paysages, scènes du quotidien…

Résidant depuis les années soixante-dix dans la région Souabe en Allemagne, Mohammed Zouaoui a été nommé officiellement « le peintre du Neckar », ce fleuve qui a marqué sa création. Artiste peintre et sculpteur, Mohammed Zouaoui adhère à un impressionnisme souabe influencé par la lumineuse légèreté des maîtres français.

e-taqafa : Comment avez-vous émigré en Allemagne ?

Mohammed Zouaoui : Je suis né en 1949 et j’ai grandi à Khouribga. En 1968, je me suis installé à Casablanca pour poursuivre des études de comptabilité, selon la volonté de mon père. Ayant un penchant pour l’art et la peinture, j’allais souvent à la médina de Casablanca pour peindre avec les artistes qui s’y trouvaient pour réaliser des portraits à la demande. L’artiste Belkahia, directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Casablanca à l’époque, m’a permis de bénéficier des cours sans être inscrit puisque je me suis présenté après la date des inscriptions. Pour mon départ en Allemagne, tout a commencé quand j’ai réalisé une reproduction d’un tableau de Delacroix au gouverneur de Khouribga. Satisfait, il m’a soutenu pour obtenir mon passeport pour aller voir le tableau original au Louvre. Une fois en France, je me suis inscrit à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Après l’obtention de mon diplôme, je suis parti en Allemagne, où j’ai poursuivi des études à l’Ecole Technique d’arts plastiques à Stuttgart.

e-taqafa : « Zwei Ansichten » que signifie pour vous ce titre ?

Mohammed Zouaoui : Il s’agit des deux regards que je porte sur le Maroc et sur l’Allemagne, sur leurs paysages, leurs fleuves, leurs peuples qui deviennent mes personnages. Quand je suis au Maroc, j’ai l’impression, des fois, d’être dans la région de Ludwigburg, tellement la ressemblance entre certains paysages est frappante. La seule différence reste la verdure des paysages en Allemagne et leur sécheresse dans certaines régions du Maroc. Pour cette exposition, j’ai créé des tableaux qui mettent en exergue ces ressemblances notamment à travers: « paysage d’Aday à Tafraout » et « Frankische-schweiz, Bayern » ou encore « le Paysage d’Ahansal, Azilal » et « Brechtesgarden, Bayern ». Les paysages se ressemblent énormément. Mon but à travers cette exposition est de faire découvrir au public marocain ces paysages allemands et marocains. De partager ce double regard que j’ai fait mûrir suite à mes nombreux voyages entre les deux pays.

e-taqafa : Les couleurs choisies sont-elles les mêmes pour les paysages marocains et allemands?

Mohammed Zouaoui : Les couleurs sont les mêmes, la composition du tableau ne change pas non plus, c’est la lumière qui est différente. Le Maroc est connu pour sa lumière unique qui a émerveillé des peintres comme Delacroix et qui m’émerveille également. Par ailleurs, je diversifie les techniques : aquarelle, huile sur toile, encre sur toile…indépendamment des thèmes.

e-taqafa : Vous privilégiez le vertissimo, une couleur que vous avez créée ?

Mohammed Zouaoui : Oui, tout à fait le vertissimo que j’ai créé en 1996 pour une société à Ludwigburg. Je dirais qu’elle est un mélange entre le vert wagon et le bleu royal, c’est un jeu de nuances bien maîtrisé. C’est une couleur omniprésente dans mes tableaux et que j’aime exploiter.

e-taqafa : Quels sont vos thèmes de prédilection ?

Mohammed Zouaoui : En Allemagne, c’est le Neckar, ce fleuve que je peins fréquemment. Au Maroc, je vais souvent au Festival d’Imilchil, à Sidi Ahmed Oulmaghni, j’aime créer des tableaux qui mettent en lumière la richesse culturelle du Maroc, les souks, les groupements humains…

e-taqafa : Comment êtes-vous devenu officiellement le peintre du Neckar ?

Mohammed Zouaoui : Le Neckar était le thème de la plupart de mes tableaux, l’association des artistes würtembergischerKunstverein Stuttgart, suite à la décision d’un jury d’artistes et de critiques d’art, m’ont attribué ce titre. Les habitants de la région se retrouvent dans mes tableaux. Je suis content de les entendre dire : c’est ici que vivait ma mère, c’était mon école…j’aime créer ce climat de partage.

e-taqafa : Comment vivez-vous votre émigration ?

Mohammed Zouaoui : Je fais partie de la première génération d’émigrés marocains en Allemagne. La société allemande m’a bien accueilli, il faut dire que l’art a contribué à mon intégration. Les Allemands apprécient les personnes sérieuses et les aident. J’ai beaucoup appris de la société allemande, de leur ponctualité et de leur efficacité. Le fait que je sois artiste m’a ouvert beaucoup de portes en Allemagne. Depuis que je m’y suis installé, j’ai une étroite relation avec les artistes, j’assiste aux vernissages, aux rencontres culturelles… ces activités m’ont permis d’avoir de bonnes connaissances. En tant qu’artiste émigré, la société allemande m’a beaucoup encouragé, les centres m’ont ouvert leurs salles pour exposer, les artistes et les officiels m’ont soutenu. J’ai souvent exposé des tableaux qui représentent des paysages marocains et qui ont eu du succès notamment auprès des Allemands qui ont déjà visité le Maroc.

e-taqafa : Quelle est l’image de l’émigré marocain en Allemagne ?

Mohammed Zouaoui : L’émigré marocain était perçu de manière positive, il avait, sans doute, une bonne réputation. Mais suite aux changements récents que l’Allemagne a vécus, il ya eu quelques nouveaux phénomènes et les Allemands sont devenus méfiants à l’égard de tous les émigrés à cause des agressions et des vols que beaucoup de citoyens ont subis. La société allemande essaie actuellement de gérer les masses d’émigrés qui vivent sur son territoire et surtout assurer la sécurité.

e-taqafa : « Zwei Ansichten » est votre première exposition au Maroc, que représente pour vous cette expérience ?

Mohammed Zouaoui : La mère patrie est chère. Je venais au Maroc, continuellement, pour mes vacances, même si le trajet était difficile. Mon attachement à mon pays est fort. Quant à cette exposition à l’Espace Rivages de la Fondation Hassan II pour les MRE, je n’ai pas de mots pour exprimer ma gratitude. Exposer au Maroc après toutes ces années vécues à l’étranger est très symbolique pour moi. Je vous remercie infiniment pour cette belle initiative qui permet aux artistes marocains vivant à l’étranger d’exposer à Rabat, dans des conditions agréables. Cette attention me touche énormément.

Propos recueillis par Fatiha Amellouk