Il est à l’affût de « l’instant décisif » et du moment fugace. Il capte l’âme d’un lieu, d’un personnage, d’une interaction ou d’un instant du quotidien. Humaniste, il exprime sa vision du monde et guide nos regards vers des personnes « invisibles ». Par le portrait, il tend à leur rendre une dignité légitime.
e-taqafa : “Vous venez d'un regard qui traverse”?
Mustapha El Basri : « Je viens d'un regard qui traverse “ évoque une présence discrète mais profondément marquante. C’est le regard de celui qui voit au-delà des apparences, qui capte l’invisible, les silences, les absences. Il traverse les êtres et les lieux sans s’imposer, laissant derrière lui une trace, une résonance. Ce regard est peut-être celui de l’artiste, du poète, de l’étranger attentif. Il questionne, il relie, il révèle ce qui souvent demeure caché.
e-taqafa : Pourquoi le choix du portrait?
Mustapha El Basri : Le choix du portrait s’impose comme une manière directe et humaine de rencontrer l’autre. Il permet de capturer l'intimité d’un visage, les traces d’une vie, d’une émotion, d’un instant suspendu. A travers le portrait, je cherche à révéler la dignité, la fragilité, mais aussi la force des individus, souvent invisibilisées. C’est une forme de dialogue silencieux, un espace de reconnaissance mutuelle. Le portrait humanise, il raconte sans mots ce que la parole ne dit pas toujours.
e-taqafa : Et la photographie de rue?
Mustapha El Basri : La photographie de rue me permet de saisir la vie dans sa spontanéité, dans ce qu’elle a de brut, de vrai. Elle capte l’instant où l'ordinaire devient extraordinaire, où une lumière, un geste, une rencontre racontent une histoire. C’est une manière de témoigner du monde tel qu’il est, sans artifice. Elle me met en mouvement, en écoute, à l'affût de ce que la ville murmure. La rue devient un théâtre ouvert, imprévisible, profondément humain.
e-taqafa : Comment définissez-vous le choix des personnages ?
Mustapha El Basri : Le choix des personnages se fait souvent de manière instinctive, guidé par une émotion, une présence, un détail qui attire le regard. Je suis sensible aux visages marqués par le vécu, à ceux qui portent une histoire, même silencieuse. Je cherche des êtres vrais, qui dégagent quelque chose d’unique sans chercher à plaire. Souvent, ce sont des personnes oubliées ou ignorées, que je veux rendre visibles. Mon regard s'arrête là où le monde passe trop vite.
e-taqafa : Quel est votre processus pour capter un moment précis?
Mustapha El Basri : Mon processus pour capter un moment précis commence par l’observation patiente. Je me fonds dans l’environnement, je prends le temps de ressentir l'atmosphère, les rythmes, les silences. J’attends que quelque chose se dégage - un regard, une posture, une lumière - qui me parle. Ensuite, je déclenche avec une intention claire : préserver l'authenticité de l’instant sans le figer artificiellement. Il faut être à la fois attentif, rapide et respectueux. C’est une forme d'écoute visuelle.
e-taqafa : Pourquoi les personnes en situation précaire?
Mustapha El Basri : Les personnes en situation précaire sont souvent invisibles aux yeux de la société, réduites à leur condition plutôt qu'à leur humanité. Mon travail cherche à leur redonner un visage, une voix, une dignité. Ce sont des êtres riches d’histoire, de blessures, de rêves, qui méritent d'être regardés autrement. En les photographiant, je veux créer un espace de rencontre et de reconnaissance. C’est aussi une manière de résister à l'indifférence et de questionner notre rapport à l'autre.
e-taqafa : Quelles sont vos techniques pour révéler la complexité de votre approche?
Mustapha El Basri : Pour révéler la complexité de mon approche, j’utilise des techniques visuelles qui traduisent les couches multiples de l'identité et de la perception. La double exposition me permet de superposer les récits, de mêler visible et invisible. Les reflets, ou le fait de photographier à travers une vitre, créent une distance, une ambiguïté entre le sujet et le monde. J’emploie parfois le shutter drag avec flash en second rideau pour figer une expression tout en laissant la trace du mouvement, comme un écho du vécu. Ces choix techniques ne sont jamais gratuits : ils participent à rendre sensible ce qui ne se dit pas, à dévoiler la profondeur d’un instant ou d’un être.
e-taqafa : Vous oscillez entre la photographie en noir et blanc et en couleurs, pourquoi?
Mustapha El Basri : J’oscille entre le noir et blanc et la couleur en fonction de ce que je souhaite transmettre. Le noir et blanc me permet d’aller a l’essentiel, de capter l’émotion brute, sans distraction - il accentue les contrastes, les regards, les silences. La couleur, elle, porte une mémoire du lieu, une chaleur, une réalité plus tangible, parfois nécessaire pour évoquer un contexte ou une atmosphère. Chaque choix est réfléchi selon l’histoire que je veux raconter. C’est une question de justesse, pas de style.
e-taqafa : Y-a-t-il une différence entre la photographie de rue au Maroc et aux Etats-Unis?
Mustapha El Basri : Oui, il existe une différence marquée entre la photographie de rue au Maroc et aux Etats-Unis, à la fois dans l’ambiance, les réactions des gens et les rythmes urbains. Au Maroc, la rue est plus dense, plus vivante, mais aussi plus intime : le regard de l’autre y est souvent chargé de méfiance ou de curiosité. Il faut savoir s’effacer, instaurer une forme de respect silencieux. Aux Etats-Unis, la diversité est plus visible, les gens sont souvent plus ouverts à l’image, mais l’anonymat domine. Chaque pays m’oblige à adapter mon approche, à écouter autrement.
e-taqafa : Comment votre résidence aux Etats-Unis a influencé votre création artistique?
Mustapha El Basri : Ma résidence aux Etats-Unis a profondément élargi mon regard. Elle m’a confronté à une diversité humaine et sociale immense, à des récits que je n’aurais peut-être jamais croisés ailleurs. J’y ai découvert une autre manière de marcher dans la ville, d’observer les solitudes, les contradictions, les luttes invisibles. Cette expérience a renforcé mon désir de documenter les marges, de tisser des ponts entre les cultures. Elle m’a aussi offert une distance avec mes racines, me permettant de les réinterroger avec plus de lucidité et de tendresse.
e-taqafa : Que représente pour vous cette exposition a l’Espace Rivages?
Mustapha El Basri : Cette exposition à l’Espace Rivages représente une étape essentielle dans mon parcours artistique. C’est un lieu de rencontre entre mes histoires personnelles et celles des autres, un espace où se mêlent mémoire et présence. Présenter mon travail ici, c’est offrir une visibilité à des voix souvent silencieuses, créer un dialogue avec le public dans un cadre sensible. C’est aussi une occasion de partager une expérience humaine et esthétique, où chaque image devient un pont entre les mondes.