Amine Sabir, l'humaniste

Image de couverture: 

Carton surprise du 16e Festival national du film de Tanger, « Le voyage dans la boîte » d'Amine Sabir, récompensé par le prix du jury, suit la course d'un jeune homme confronté à la mort. A l'image de la communauté maroco-corse qui y parle un langage vrai, direct, ce premier film sobre et poignant dispense une profonde réflexion sur le thème du rapatriement, encore peu exploré dans le 7e art du Maghreb.

e-taqafa : Pourquoi avez-vous choisi d'évoquer le rapatriement dans « Le voyage dans la boîte »?

Amine Sabir : Parler du rapatriement est ma façon de traiter mon rapport à la mort, suite au souvenir adolescent, vécu au Maroc, d'une défunte tante rapatriée de France. Je l'aimais beaucoup, au point de refuser d'assister à la cérémonie de veillée funéraire. Mais j'avais entendu et fantasmé nombre de mots et d'images  gravés à ma mémoire: en arabe on disait « Jaboha Fi soundouk » : « on l'a ramenée dans une boite », comme s'il s'agissait d'une malédiction, d'où le titre du film. En tant que franco-marocain vivant en France, il y a des images qui me manquent dans la représentation des musulmans sur les écrans de cinéma et télévision, souvent pétris de clichés. Le rapatriement qui concerne une grande partie de ma communauté, la mort et ses rituels ne sont jamais représentés à l'écran. A travers ce film, j'ai accompli d'une façon inconsciente et non revendicative une double mission : celle d'avoir un héros marocain, Abdelkrim, issu d'une minorité et celle de parler des préoccupations de ma communauté  au sujet de la mort.

e-taqafa : Vous avez été marqué par « De l'autre côté » de Fatih Akin qui évoque aussi l'image d'un corps de femme turco-allemande dans un cercueil...

Amine Sabir : L’image de ce cercueil sur un tapis roulant m'avait beaucoup marqué. Je m'étais rendu compte à quel point ce genre d'images me manquaient, comme si ce film parlait de moi et me représentait. C'était la première fois que j'avais eu ce sentiment. Le film d’Ismael Ferroukhi « Le Grand Voyage » m'avait fait cette même impression. Et le jour où j'ai eu l'opportunité de faire un film, l'image de celui de Fatih Akin m'avait alors accompagné, je tenais absolument à filmer le passage du corps dans l'espace de l'aéroport comme si je voulais filmer et témoigner de cette malédiction. Je voulais aussi filmer en détail la toilette funéraire  pour apaiser et laver la douleur de la malédiction.

e-taqafa : Comment la communauté marocaine de Corse a -t-elle accueilli l'idée de ce film ?

Amine Sabir : le projet initial devait être un documentaire, lors des premiers repérages, le sujet du rapatriement et la mort intriguaient et n'étaient pas facile à aborder. Le résultat de mon film est le fruit de la complicité et la relation que j'ai tissées lors de rendez-vous durant plusieurs mois : entre 2012 et 2013 avec mes acteurs de l'Amicale Marocaine de Bastia. Dès lors, les deux projections de Bastia et de  Furiani en 2014 et 2015 étaient des moments forts aux côtés des acteurs. J'ai partagé leur fierté à participer au projet d'autant que les médias et les responsables politiques locaux étaient présents, en plus de la présence du Consul du Maroc. Je pense qu'ils ont considéré le film et son bon accueil comme une reconnaissance leur étant dédiée.

e-taqafa : Vous avez fait jouer des comédiens non professionnels marocains, qu'insufflent-ils en particulier à l'écran ?

Amine Sabir : Lorsque ce projet est devenu une fiction, je tenais absolument à garder les acteurs non professionnels marocains car ils apportaient à la fois une certaine vérité et authenticité mais aussi leurs propres témoignages et expériences du rapatriement et du rapport à la mort.­

e-taqafa : Y a-t-il des aspects que vous vous êtes interdit de montrer, notamment lors  du rituel de lavage du corps du défunt ?

Amine Sabir : Je suis passé du traitement documentaire au traitement fictionnel car je n'arrivais pas à résoudre le problème de la mise en scène de la toilette funéraire. Durant les repérages, j'ai aidé l'imam lors d’une vraie toilette funéraire et j'ai accompagné le défunt sans famille, à l’aéroport de Bastia. Mais je ne voulais pas filmer une toilette avec un vrai défunt par respect. Le tournage de cette séquence en mode documentaire a été particulièrement difficile car le lieu est habité par la mort mais l'imam et son assistant ont été parfaits et lors du montage, elle a été coupée de façon à la rendre très apaisante.

e-taqafa : Parlez-nous de vos origines marocaines...

Amine Sabir : Je suis le fruit du métissage marocain : afro-amazigh et arabe. Mon père, peintre automobile retraité, vient de Ouled Hriz vers Berrechid, d'un douar où s'était installée, il y a longtemps, une grande famille issue du village Sidi Moussa El Mejdoub à Zenata située entre Casablanca et Mohamedia. Ma mère paix à son âme, était femme au foyer, née à Casablanca, mais ses parents sont issus de la vallée de Draa à côté de Zagora, où ses ancêtres s'étaient installés en provenance de Kelaa M'gouna. Aujourd'hui, d'une fratrie de 13 enfants issue d'une famille recomposée nous sommes 9 MRE résidant en Europe.

e-taqafa : Etes-vous en projet pour un autre film ?

Amine Sabir : Je rentre au Maroc pour le festival maghrébin d'Oujda, où mon film est en sélection officielle. J’ai plusieurs projets : un court métrage de fiction en France, un documentaire en Corse, un autre documentaire en gestation sur un MRE retraité cinéaste amateur résidant en Allemagne. Je souhaite accompagner et produire de jeunes réalisateurs marocains autour de court-métrage fiction, documentaire et animation.

Propos recueillis par Fouzia Marouf


Galerie: