FOUAD LAROUI Ecrivain

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« Il y a dans ma façon de raconter les choses un fond d’indignation »

Prix Goncourt de la nouvelle pour « L’Étrange Affaire du pantalon de Dassoukine », son dernier roman «L’insoumise de la porte de Flandre» est une lecture de confinement qui pourrait faire passer les heures plus vite. Retour sur ce roman passionné avec le plus néerlandais des écrivains marocains : Fouad Laroui.

E-taqafa : Après«De l’islamisme. Une réfutation personnelle du totalitarisme religieux », vous proposez : « Ce vain combat que tu livres au monde» et maintenant «L’insoumise de la porte de Flandre». De l’essai au roman, pourquoi avoir opté pour la forme romanesque aujourd’hui ?
 

Fouad Laroui :  Il est vrai que je défends les mêmes idées, la même vision du monde, pour le dire un peu pompeusement, dans mes essais et dans mes romans mais il s’agit de deux genres qui ont chacun leur spécificité : dans l’essai, il s’agit d’idées générales, de concepts alors que dans le roman, on est au plus près de la vie concrète, celle des personnages donc celle du lecteur. Celui-ci peut être plus sensible à un genre qu’à l’autre. Alors autant lui proposer les deux…Pourvu que le message passe.

 

e-taqafa : L’histoire se passe à Molenbeek. Pourquoi cette envie de revenir sur le sujet ?
Fouad Laroui : En fait, quand j’ai commencé à écrire ce roman, personne ne connaissait Molenbeek (à part ceux qui y vivaient et encore…) car les attentats de l’automne 2015, à Paris, n’avaient pas encore eu lieu. C’est parce que ces attentats avaient été fomentés à Molenbeek que c’est quasiment devenu un nom commun. Mais moi, j’avais vécu à Bruxelles au début des années 90 et j’avais été frappé par le caractère cosmopolite ou plutôt « marocain» de ce quartier.

 

e-taqafa : Cela vous avait inspiré une nouvelle à l’époque ?

Fouad Laroui : En effet. J’avais alors eu l’idée d’écrire une nouvelle sur la double vie qu’y mènerait une Marocaine prise dans les contradictions de sa marocanité et de la vie de liberté que lui proposerait Bruxelles-centre à deux pas de là – il suffit de franchir le fameux pont de la Porte de Flandre. La nouvelle qui est devenue un roman quand j’y ai introduit une intrigue avec plusieurs personnages devait s’intituler «La fiancée nue de Molenbeek». L’écriture était bien avancée lorsque les attentats de Paris ont eu lieu. Du coup, mon éditeur m’a conseillé de changer de titre. On aurait pu croire que je profitais de la notoriété soudaine de ce quartier alors que ma réflexion avait commencé plusieurs années avant…

 

E-taqafa : Vous avez habité en Belgique et vécu la montée de l’islamisme en Europe.  Que connaissez-vous de ce quartier et aviez-vous senti les choses venir ?
Fouad Laroui : Oui, comme je l’ai dit, j’ai habité à Bruxelles et je me rendais régulièrement à Molenbeek. Après tout, c’était le seul endroit où l’on pouvait déguster des m’semmen authentiques…Cela dit, je n’aurais jamais pu imaginer que des terroristes allaient sortir de ce quartier pour aller tuer des innocents à Paris. Le lien avec l’islam et l’islamisme n’est d’ailleurs pas très clair vu que ces jeunes hommes étaient en majorité des petits délinquants et des drogués.

 

E-taqafa :Vous traitez de ce sujet grave avec beaucoup d’humour…
Fouad Laroui : Je suis sensible à votre reproche (rires) mais je n’y peux rien. C’est mon style d’écriture. Je dis bien  «d’écriture» car dans la vie quotidienne, je suis sinistre. Il y a dans ma façon de raconter les choses un fond d’indignation ou d’ahurissement devant la marche du monde, qui s’exprime par l’humour.

 

e-taqafa : L’angle est original. Vous suivez Fatima qui en traversant un pont passe de la femme au niqab à une strip-teaseuse. Deux extrêmes. Deux costumes quelque part…
Fouad Laroui : Oui, ce sont des déguisements puisque dans les deux cas, on réduit une personne à son corps, qu’on veuille le vêtir ou le dévêtir. La révolte de Fatima trouve là son origine : c’est une révolte «philosophique» puisqu’elle a bien compris, par ses lectures philosophiques, en particulier de Sartre, que nous ne sommes pas des corps mais des consciences. Or une conscience est désincarnée…

 

e-taqafa : Le personnage de Faouzi est très intéressant. Vous dites qu’il n’aime pas la Belgique ni les Belges alors qu’il est Belge avant d’être d’origine maghrébine. Que s’est-il passé dans la tête de cette jeunesse ?
Fouad Laroui : C’est peut-être une conséquence de l’apparition des chaînes satellitaires et d’Internet. L’accès à l’information ne passe plus par la grand-messe du Journal télévisé de 20h, qui réunissait tout le monde. Il s’est tellement diversifié que chacun vit maintenant dans sa bulle. Faouzi regarde sans doute Al Jazira, c’est peut-être un fan de Bollywood, il va à la mosquée, il soutient l’équipe de foot du Maroc…Bref, qu’a-t-il de commun avec ses compatriotes Belges ? Il faut dire aussi que ça fonctionne aussi mal dans l’autre sens : que connaissent les Européens, sauf quelques belles exceptions, à l’histoire et à la culture du Maroc ?

 

e-taqafa : Le personnage d’Eddy, un peu une caricature de «l’occidental» semble ne pas comprendre grand chose alors qu’ils vivent tous à côté les uns des autres. Est-ce une manière pour vous de dire que malgré le fait que nous soyons voisins, nous ne vivons pas vraiment ensemble. Est-ce quelque chose que vous ressentez à Amsterdam ?
Fouad Laroui : Oui, Eddy est le personnage qui illustre ce que je viens de dire. Il voit constamment des Marocains autour de lui, à Bruxelles, mais que fait-il pour les connaître? Rien, à vrai dire, sauf lire quelques articles tendancieux sur l’islam et l’islamisme…Qui connaît Ibn al-Haytham ou Ibn Tofayl en Europe ?
Je ressens aussi ce manque de curiosité à Amsterdam et cela débouche sur ce que vous appelez avec raison «être voisins sans vivre ensemble»

 

e-taqafa : Si vous en avez le pouvoir, comment feriez-vous pour éradiquer l’obscurantisme ou le diminuer ?
Fouad Laroui : J’obligerais les gens à lire, à lire toutes sortes de livres, à se confronter à des opinions différentes, à se frotter à toutes les disciplines humaines, en particulier à l’anthropologie qui enseigne la relativité de toutes les expressions culturelles, à l’histoire, à l’épistémologie qui situe le savoir dans un effort jamais achevé, etc. On peut rêver…