Le sentiment d’éloignement nourrit une réflexion sur la mémoire et l’identité.

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Par la sensibilité et la naïveté d’un jeune artiste, Aymane Bufrakech ose une exploration libre qui mène à une diversité créative. Il s’engage dans   un travail assidu autour de la mémoire et des émotions, guidé par un   attachement indéfectible à son pays d’origine où il puise les formes et les couleurs.

E-taqafa : Dans quel courant artistique situez-vous vos créations ?

Aymane Bufrakech : Je situe mon travail dans l’art contemporain, tout en restant profondément enraciné dans l’exploration de l’émotion et de la mémoire. Mes œuvres combinent des influences figuratives et abstraites, jouant avec la lumière et la couleur pour créer des atmosphères singulières. On y retrouve aussi des éléments inspirés de l’art marocain et méditerranéen. À travers chaque toile, je cherche à construire un monde à la fois personnel et universel, racontant une histoire, un lieu ou un sentiment. Ma démarche ne s’enferme pas dans un seul courant, car la liberté créative demeure le cœur de mon expression artistique.

E-taqafa : Êtes-vous un artiste adepte de l’art onirique ?

Aymane Bufrakech : Oui, la dimension onirique est présente dans certaines de mes œuvres, même si elle ne définit pas toute ma pratique. L’art onirique me permet d’explorer les paysages intérieurs, les souvenirs et les émotions façonnées par l’imaginaire. Il établit un pont entre le réel et l’inconscient, invitant le spectateur à plonger dans un univers sensible. Cet aspect se mêle souvent à des approches plus figuratives, offrant une diversité qui reflète ma personnalité artistique et enrichit mes créations.

E-taqafa : Qu’est-ce qui a contribué à ce choix ?

Aymane Bufrakech : Mon intérêt pour l’art onirique vient de mon expérience personnelle et de ma sensibilité artistique. La ville de Tanger, avec ses lumières et ses couleurs si particulières, a nourri mon imaginaire depuis l’enfance. Mes premières expériences dans l’atelier de mon père m’ont appris à relier émotion et création. Les voyages et la découverte d’autres cultures ont renforcé cette inclination vers les univers poétiques. L’art onirique est pour moi une manière de transformer le quotidien en sensation et de partager une expérience intime avec le spectateur.

E-taqafa : Qu’en est-il des dessins rupestres ?

Aymane Bufrakech : Les dessins rupestres m’inspirent par leur sincérité et leur puissance expressive. Je les perçois comme un lien direct avec la mémoire de l’humanité : des formes simples mais porteuses d’histoires universelles. J’en retiens la spontanéité, l’énergie primitive et j’essaie parfois d’en faire écho dans mes propres œuvres. Ce patrimoine ancien dialogue avec ma recherche contemporaine, créant un pont entre passé et présent. Pour moi, ces dessins sont une source de réflexion sur la trace, le temps et l’essence du geste artistique.

E-taqafa : Peut-on parler aussi de surréalisme dans votre pratique ?

Aymane Bufrakech : Certains aspects de mon travail se rapprochent du surréalisme, notamment dans la manière de fusionner le réel et l’imaginaire. Les formes et les scènes que je peins ne cherchent pas à reproduire la réalité, mais à en révéler la dimension émotionnelle et poétique. Le surréalisme me permet d’exprimer tensions, rêves et souvenirs sous une forme symbolique. Il s’intègre subtilement à des éléments plus figuratifs, offrant au spectateur plusieurs niveaux de lecture et d’interprétation.

E-taqafa : La diversité est le maître mot de votre création, est-ce un besoin ?

Aymane Bufrakech : Oui, cette diversité découle d’un besoin vital d’explorer librement des idées et des émotions variées. Je ne souhaite pas me limiter à un seul style ou sujet, car chaque sentiment appelle sa propre forme et sa propre technique. Cette liberté nourrit ma curiosité et enrichit mon langage plastique. Elle me permet également de dialoguer avec un public large à travers des approches et des esthétiques multiples.

E-taqafa : La diversité est visible aussi au niveau des techniques, pourquoi ?

Aymane Bufrakech : J’utilise différentes techniques car chacune offre une manière singulière de traiter la couleur, la lumière et la matière. Certaines œuvres nécessitent la douceur de l’huile, d’autres la spontanéité de l’acrylique ou encore le travail sur des supports non conventionnels. Cette variété technique me donne une plus grande liberté d’expression et permet à chaque pièce de porter son propre rythme et sa propre émotion. Elle reflète aussi la richesse et la profondeur de mon parcours artistique.

E-taqafa : Quels sont vos thèmes de prédilection ?

Aymane Bufrakech : Je m’intéresse particulièrement aux villes, à la nature, aux visages et à la mémoire, avec une forte dimension émotionnelle. Mon inspiration provient de mon environnement, de la culture marocaine et de mon vécu personnel. J’aborde parfois des sujets plus philosophiques ou sociaux, comme la relation entre l’homme et la nature, ou le passage du temps. Mon objectif est de créer des œuvres qui transmettent une expérience sensorielle et poétique.

E-taqafa : La représentation des villes marocaines est plutôt figurative, pourquoi ce choix ?

Aymane Bufrakech : Je choisis l’approche figurative car je veux que le spectateur ressente la ville telle que je la perçois. Le réalisme permet de reconnaître les lieux, tandis que j’y ajoute des touches poétiques traduisant mon impression intime et ma mémoire affective. L’enjeu n’est pas la copie fidèle de la réalité, mais la création d’une atmosphère où le lieu devient émotion et culture à la fois.

E-taqafa : Comment la migration a-t-elle influencé votre création ?

Aymane Bufrakech : La migration a profondément élargi mon regard. Vivre entre le Maroc et l’Espagne m’a permis de confronter deux lumières, deux sensibilités et deux cultures artistiques. Cette expérience a transformé ma perception de la couleur et du temps. Le sentiment d’éloignement nourrit une réflexion sur la mémoire et l’identité. J’essaie d’unir mes racines marocaines à mon expérience européenne pour créer un dialogue entre passé et présent, ici et ailleurs.

E-taqafa : Quelle est la place qu’occupe le Maroc dans votre expression artistique ?

 Aymane Bufrakech : Le Maroc occupe une place essentielle dans mon œuvre : c’est ma source d’inspiration première. Ses villes, ses paysages, sa lumière et sa culture nourrissent continuellement mon imaginaire. Je cherche à en traduire la richesse à travers une approche contemporaine, tout en conservant une forte empreinte émotionnelle. Le Maroc n’est pas seulement un décor, il est la substance même de ma création, le cœur vivant de mon univers artistique.

E-taqafa : Vous faites partie d’une nouvelle génération d’artistes. Pensez-vous avoir un vécu différent ?

Aymane Bufrakech : Oui, notre génération vit une ouverture sans précédent. Nous avons accès à de nouvelles technologies, à des échanges internationaux, tout en restant attachés à notre identité. Mon expérience reflète cette dualité : liberté créative et conscience du patrimoine culturel. Cela me permet de proposer une œuvre sincère, enracinée mais ouverte sur le monde, entre tradition et modernité.

E-taqafa : Parlez-nous de l’expérience « Têtes de veaux ». Comment vous est venue cette idée ?

Aymane Bufrakech : L’idée de « Têtes de veaux » vient d’un souvenir d’enfance à Assilah, où j’accompagnais souvent mon père dans son jardin à la campagne. Pendant que je me promenais seul dans les champs, je découvrais parfois des crânes de bovins laissés par le temps. Ces images m’ont marqué profondément. J’ai voulu leur redonner vie d’une manière artistique : je les ai soigneusement nettoyés, puis peints de couleurs vives et expressives. Cette expérience m’a permis de transformer un vestige naturel en œuvre vivante, mêlant mémoire, nature et imagination.

E-taqafa : Que représente pour vous cette exposition à l’Espace Rivages ?

Aymane Bufrakech : Cette exposition représente une étape importante dans mon parcours artistique. C’est l’occasion de présenter mes œuvres à un public diversifié, de partager mes recherches et de dialoguer avec d’autres artistes. C’est aussi un moment d’introspection, un retour sur plusieurs années de travail et d’évolution. Exposer à l’Espace Rivages, c’est affirmer une identité, tout en inscrivant mon travail dans un cadre d’échanges et d’ouverture culturelle.