Sijilmassa

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La ville de Sijilmassa est très connue des auteurs arabes. Porte du désert et l'une des premières cités du Maroc islamique, elle connaît un essor remarquable et devient une station incontournable du négoce transsaharien. En 140/757-758 une principauté dirigée par les Banou Midrar s'installe au milieu de l'oasis de Tafilalet et y fonde une cité. Refuge lointain pour ces kharijites sofrites, Sijilmassa attire alors la majorité des populations des environs et entraîne la « dépopulation de Targha , ville qui était éloignée de deux journées ainsi que la ruine de la ville de Ziz». Le troisième émir midrarite, Abou Mansour al Yassa' Ibn Abi al-Qasim, entoure la ville en 199/815 d'une enceinte et en assure ainsi une meilleure protection contre les attaques répétées des Chiites de l'Ifriqiya. Pourtant, Abdellah  le chüte réussit en 297/910 à s'emparer de la ville et y nomme un gouverneur Ibrahim Ibn Ghaleb. La domination obéidite fut de courte durée: la population de la ville s'insurge contre l'armée chiite et en tue le gouverneur. Après de longues années de luttes et d'anarchie Sijilmassa retrouve, sous Mohammed Ibn al-Fath, connu par ach-Chakir LiIlah (321-347/933-858), une stabilité politique et une dynamique économique dont témoigne le Dinar en or, ach-chakiri, qui porte le nom de la ville et de l'émir.

Au début du XIe siècle, les tribus Sanhaja  almoravides entament une poussée vers le Nord et le Nord-Est. Maîtres du désert, ces Almoravides attaquent Sijilmassa, mettent fin à son émirat et contrôlent ce carrefour du commerce caravanier et par là même la grande route de l'or soudanais. Quelques années plus tard apparaît le «morâbit», dinar almoravide en or, qui devient la monnaie la plus briguée sur les deux rives de la Méditerranée. Sijilmassa accapare d'autre part le commerce très animé de tout le pays du Dra et devient rapidement une ville florissante, populeuse et ouverte sur le monde saharien. «Elle est, écrit le géographe al-Idrissi, le rendez-vous et le point de départ des voyageurs; elle est entourée de beaucoup de verdure et de jardins, de beaux paysages environnants». Sous les Almohades et les Mérinides (VI-VIII/XII-XVe siècles), Sijilmassa est toujours une cité indépendante animée par ses relations avec les Royaumes du Sud du Sahara. Ses ateliers continuent d'émettre des monnaies aussi bien en or qu'enargent, témoins éloquents, malgré des moments d'insécurité et d'anarchie, d'un dynamisme remarquable.

Le chaos politique, la régression économique et les épidémies sévissent entre 610 et 624/1213 et 1228 dans tout le pays. La ville ne tarde pas d'ailleurs à entrer dans le cœur de ces événements qui marqueront la fin d'une dynastie et la naissance d'une autre. Toutefois, Sijilmassa semble être épargnée: le calife almohade ar-Rachid, menacé par les avancées des tribus arabes d’al-Khult, fuit la capitale Marrakech et trouve refuge à Sijilmassa en 632/1234. Il y réorganise son armée, la consolide par le recrutement d'éléments arabes maâqils et se dirige vers Fès dans l'espoir de retrouver son trône. En 633/1235, Sijilmassa est secouée par une révolte contre les Almohades menée par Ibn Abd al-Aziz as-Sanhaji. Dix ans plus tard, un autre rival, Abd Allah Ibn Zakariya al-Khazraji, occupe la ville, expulse le gouverneur almohade et reconnaît le pouvoir des Hafsides. Le calife as-Saiîd lance en 642/1245 une attaque militaire et met fin à l'insurrection de son gouverneur. Le mécontentement de la population devient de plus en plus grand et poussera les habitants à interpeller l'émir abdalouadide, Yaghmourassan. Désireux de contrecarrer les projets des Mérinides, ce dernier se précipite en direction de Sijilmassa. Les deux armées s'affrontent à l'extérieur de la ville, devant la porte Takhnousset. Yaghmourassan est contraint de se retirer alors que le Mérinide Abou Bakr Ibn Abd al-Haqq nomme un gouverneur chargé de la gestion et de l'organisation du tribut de la ville. En 656/1259, et suite aux querelles de succession entre les prétendants zénètes, Sijilmassa change, une fois encore, de maître et tombe sous l'autorité d’un certain al-Qatrani. Celui-ci s'insurge contre les pouvoirs mérinide et almohade et déclare l'indépendance de la ville. Mais un autre danger guette celle-ci car, à sa mort en 658/1261, Les Arabes el- Menbât, rapporte Ibn Abi Zar’, s'en emparent au nom de Yaghmourassan qu'il proclament. Celui-ci leur envoie son fils Yahya et le charge avec deux autres notables abdalouadides de veiller à la réorganisation des tributs et du commerce transsaharien. En 673/1274, le sultan mérinide Abou Youssouf Yaqoub reprend, après un an de siège et l'utilisation d'armes à feu, la ville et tente de pacifier tout le pays du Dra.

Le commerce caravanier et l'affluence de l'or attirent les différents antagonistes du Maghreb en direction de Sijilmassa. Celle-ci devient le théâtre de guerres sanglantes et perd de son importance surtout lorsque les arabes maâqils réussissent à imposer leur suprématie sur presque la totalité de Tafilalet et par conséquent sur les principaux itinéraires caravaniers. De l'autre côté, les émirs mérinides se disputent le pouvoir et le Maroc sombre à nouveau dans l'anarchie. Sijilmassa tente de se relever mais l'occupation des arabes rnaâqils du territoire méridional en accélère le déclin. Ses monuments sont détruits et ses habitants dispersés dans les oasis de la région. Sijilmassa est abandonnée mais son sol donnera, à partir du début du X/XVIIe siècle, de nouveaux maîtres au pays et sert alors de base de départ pour la réunification du Maroc moderne sous les Chérifs alaouites.

Carrefour vers lequel convergeaient toutes les caravanes reliant l'Est et l'Ouest, le Nord et le Sud de l'Occident musulman, Sijilmassa est actuellement en grande partie ensevelie sous la ville de Rissani. A travers les sources historiques, elle apparaît comme une ville florissante, grande, populeuse et métropole du commerce caravanier entre les deux rives du désert. Elle est même appelée la porte de l'or. Al-Bakri écrit que «dans l'intérieur on voit de très belles maisons et des édifices magnifiques; elle possède un grand nombre de jardins. La partie inférieure de la muraille qui l'entoure est en pierres et la partie supérieure en brique ... ». Cette muraille fut «percée de douze portes»; la mosquée-cathédrale «est d'une construction solide et bien soignée».

Des recherches archéologiques lancées depuis 1973- 74 avaient tenté de percer les mystères qui n'ont cessé d'entourer ce passé aussi glorieux qu'énigmatique. Mais, les vestiges archéologiques qui pourront jeter des lumières restent encore rares et la configuration de la ville encore difficile à préciser. Le site est constitué de plusieurs tertres occupant une superficie délimitée par la rigole des Chérifs (sagiyat ach-Chorfa) au Nord, oued Ziz à l'Ouest, Rissani, Qsar Abou Âm et Qsibat al-Hdab à l'Est et Qsar Krinfoud au Sud. Les ruines qui affleurent à même le sol sont celles d'une enceinte tardive. A l'Ouest apparaissent, toutefois, les traces d'une double enceinte dont l'avant-mur est dépourvu de tours. La seconde courtine, épaisse de deux mètres, est fortifiée de tours dont la hauteur atteint sept mètres. A l'intérieur, les fouilles ont mis au jour, au cours des campagnes de 1988 et 1992, les restes d'une mosquée - cathédrale alaouite construite sur une autre plus ancienne, d'une medersa, d'un hammam et un mobilier archéologique riche et diversifié dont une importante collection de monnaies en or. Sijilmassa commence ainsi à dévoiler certains de ses secrets que seul un programme scientifique pluridisciplinaire pourrait un jour exhumer.