Walead Ben Selim Musicien, poète

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 « La poésie c’est les mathématiques de la langue ! »

Poète des temps modernes, il a choisi de mêler la musique électronique et les mots de grands penseurs arabes à l’image de Nizar Qabani ou Mahmoud Darwich. N3rdistan est né. Rencontre avec un amoureux des mots et des mélodies.

 

e-taqafa : Avec cette crise sanitaire, votre projet d'un monde sans frontières résonne encore plus qu'avant. Comment vivez vous ce confinement ?

WBS : Oui, on a toujours appelé pour que la mondialisation ne concerne pas que la marchandise et le capital mais qu’elle englobe l’être humain et la culture. Mais malgré la crise que nous vivons  je suis confiant, on y arrivera inévitablement car ceux qui refusent le changement disparaissent, c’est une règle naturelle !  

Comment je vis le confinement ? c’est mitigé, comme tout le monde je pense, il y a des moments où je suis traversé par une incompréhension, où je me demande comment nous sommes arrivés à accepter que la situation se détériore. 

 

e-taqafa : Qu'est-ce ce que cette crise a changé en vous , dans votre routine ?

WBS : Personnellement, j’ai choisi depuis 2012 de vivre à la montagne, donc le confinement ne change que peu de choses à ma routine, hormis les reports de concerts bien sûr. Je vois autant de monde qu’avant sauf que je me déplace beaucoup moins !  

 

e-taqafa : Comment est né N3rdistan?

WBS : Dans cette montagne où je me trouve actuellement. Né d’une volonté de créer un monde pour tou(te)s les exilé(e)s que nous devenons !

 

e-taqafa : Comment s'est imposé à vous  le mixage de la  de poésie arabe et de la musique électronique ?

WBS : Nous sommes le fruit de notre environnement et de nos racines, déterminés par les actions du monde qui nous entoure. J’ai grandi avec l’image du « poète-prophète » capable de dire ce qu’il souhaite, car l’inspiration est « divine ». Dans ma période Rap, où la musique électronique est omniprésente, je me suis ouvert à d’autres styles comme le TripHop, la D&B, etc…. Puis un jour les deux mondes se sont rencontrés, entre une lecture poétique et une composition électronique.

 

e-taqafa : D'où est née votre passion pour la poésie arabe ?

WBS : La dévotion pour la poésie me vient de ma mère, elle est celle qui m’a fait gouté le Verbe dans le lait maternel déjà. Pendant l’adolescence je me suis détourné de la poésie  car il était question d’amour et de relations amoureuses, je ne connaissais que cette facette de la poésie, comme la plupart de ma génération d’ailleurs. À l’époque, je cherchais à exprimer les doutes qu’un adolescent pourrait avoir sur la société et la révolte qui pourrait découler du décalage entre les générations ! Le rap était la réponse parfaite à cette situation. Et puis un jour en préparant une tournée en inde, je suis tombé sur le Diwan d’Al Maari, c’était le choc de redécouvrir la poésie  avec un regard d'adulte, puis les poésies interdites de Nizar Qabanni ou de Matar. La brèche était ouverte dans ma tête. 

 

e-taqafa : Qui sont vos sources d'inspiration ?

WBS :Mes sources d’inspirations sont celles et ceux qui nous ont précédé; Al khansa, Mahmoud Darwich, Al Maari, Nazek El Malaeka, Matar, Abu Nawas, Ibn Arabi, Al Hallaj, des poètes qui nous lèguent un trésor de la pensée humaine. La poésie c’est les mathématiques de la langue ! J’aime beaucoup un vers de Darwich qui dit : l’inspiration c’est la chance du talent si tu t’acharnes !

 

e-taqafa : Comment née une chanson?

WBS : Je ne sais pas, elle peut se révéler à nous d’un seul coup ou venir d’un passé lointain, c’est la beauté de cet art ! Au fond, est ce qu’on maitrise réellement une naissance ?!

 

e-taqafa : Comment est né le lanceur de dès ?

WBS : Parce que cette poésie de Darwich est une exception littéraire, pour moi, elle devrait être enseigné aux enfants avant d’être lu aux adultes.

Les organisateurs du festival Arabesques m’avaient demandé de faire un hommage à Darwich et dans l’une des compositions que j’avais proposé, j’avais choisi le début de cette poésie. 

« Qui suis-je pour vous dire ce que je vous dis », à la lecture de cette phrase, j’étais déjà bouleversé ! On a décidé de continuer la création autour de ce chef d’oeuvre !

 

e-taqafa : Pourquoi maintenant ?

WBS :La question de l’identité a, depuis quelques décennies, pris en otage le débat des sociétés dans lesquelles nous évoluons, mais avant de la figer dans une définition, Darwich nous questionne sur le sens de nos vies, en se remettant en question lui même, il nous emmène dans les profondeurs des identités multiples que nous aurions pu avoir, si le destin (ou le hasard) en avait décider autrement. Qu'est-ce qui fait de nous ce que nous sommes ? Alors qu’une seconde d’inattention ou un rdv manqué aurait pu changer définitivement ce que nous devenons. Sommes-nous réellement libres de nos choix ? Et les éléments qui nous entourent nous permettent -ils de changer librement ? ou nous influent -ils fatalement ? Hasard ou destinée ? En mettant en scène cette prose, je veux suspendre le temps d’une communion, la réponse à cette question au-dessus de nos têtes. 

 

e-taqafa :Quelles leçons faut-il tirer de cette crise ?

WBS : Je n’ai pas de leçons pour les autres mais quelques réflexions : 

- Que nous ne sommes pas préparés et que nous ne le serons sans doute jamais !

- Que les « pâtes » est un plat italien sérieux et ne peut constituer la cuisine de tous les jours !

- La nature n’a pas repris ses droits car elle n’en a pas, par contre elle a des lois, physique, biologique, etc… et dans peu de temps on va apprendre à les respecter, au risque d’extinction !

- Nous avons besoin de contact (l’animal social) !

- Le confinement n’est pas une solution viable, c’est une mise à mort économique, surtout des plus démunies d’entre nous !

- Notre rapport à la vie, à la mort, à ce qui est nécessaire doit changer !

- Au lieu de courir derrière la carotte, vaut mieux aller la planter !