Émigrer ? C’est donner et recevoir.

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Bien que ses techniques soient en perpétuel changement, les créations de Khalid El Bekay portent les indices de son ancrage marocain. D’abord, il a fait de ses toiles un dialogue entre Le Maroc et l’Espagne à travers la théière et la tasse de café. Son attachement à la terre s’est révélé par des compositions de pommes, de poires... Ensuite, les formes géométriques ont succédé à la représentation des objets. Tout au long de son parcours, la création de Khalid El Bekay est marquée du sceau de l’immigration et de la terre natale.

E-taqafa : Thé ou Café ?

Khalid El Bekay : Pour le thé et la théière, je peux dire que j’avais découvert ma relation avec le thé en buvant le café en Espagne. Celui qui dit thé, dit beaucoup de choses, notre culture, notre notion du temps, notre rituel, nos principes et toute notre histoire. Prendre un thé au Maroc était une énergie pour moi que j’ai déchiffrée en prenant le café à Barcelone. Dans mes tableaux, la théière et la tasse de café représentent le dialogue et l’échange culturel entre Khalid et Barcelone. Celui qui dit Barcelone, dit occident.

e-taqafa : Cette étape symbolique est suivie pour une autre qui privilégie les formes géométriques, comment est venu ce glissement ?

Khalid El Bekay : Oui ! Après la théière et la tasse viennent les formes géométriques qui sont en fait la terre marocaine découverte à vol d'oiseau, en atterrissant à l’aéroport Mohammed V à Casablanca, où j'ai mon deuxième atelier. Ces formes géométriques sont un dialogue très profond entre Khalid et sa terre natale. Avant, je voyais ce qui sort de la terre : couleurs, formes, textures... Mais je n’avais pas vu la terre elle-même ni sa lumière. Il s’agit de toute une recherche de 2009 à 2015. Une synthèse géographique de mon discours plastique où je me suis libéré des formes adoptées auparavant notamment la technique de la gravure et de la peinture.

e-taqafa : Vos techniques évoluent sans cesse, peut-on parler d'une recherche à ce niveau ?

Khalid El Bekay : Pour les techniques que j’explore, il y a une grande richesse. Je m’accorde une liberté en accumulant ce que j’ai appris à Tétouan dans la section peinture et à Barcelone dans la section gravure. Ces deux formations m’ont octroyé un cachet personnel dans mon travail. Surtout pour la technique du collage.

e-taqafa : Vos créations respirent le Maroc, pourquoi ce lien si fort en dépit de votre émmigration ?

Khalid El Bekay : Le changement de l’entourage, de la tradition, de la culture, de la famille, des amis… nous permet de grandir et de murir vite. Pour moi, comme beaucoup d’autres marocains vivant en Espagne, nous aimerions démontrer au pays d’accueil que nous sommes ici pour donner et recevoir. Émigrer ? C’est donner et recevoir. Nous sommes les ambassadeurs de notre pays et de notre culture. Nous voudrions être un exemple de tolérance et de richesses culturelles.
Je suis un catalan marocain. Avec les œuvres que j’ai produites à Barcelone, j'ai fait rentrer le bonheur dans plusieurs familles catalanes, espagnoles et du monde et bien sûr de beaucoup de Marocains. Je suis heureux, quand on me dit que contempler mes œuvres et leurs couleurs, est un moment de joie et de bonheur.

e-taqafa : La catalogne est-elle présente dans vos travaux ?

Khalid El Bekay : Oui bien sûr ! La catalogne est présente dans mes œuvres. Barcelone a marqué beaucoup de grands maîtres de la peinture. Je vis depuis 26 ans avec les catalans, c'est normal qu’il ait une présence catalane dans mon art. En plus, j'ai une famille catalane et j’aime la catalogne. En Espagne, je suis le catalan marocain.

e-taqafa : Créer, peut-il devenir un geste spirituel ?

Khalid El Bekay : Tout à fait, créer est un geste spirituel très profond. Je suis très spirituel avec un penchement pour le soufisme. J’aime la transparence et le dialogue spirituel.

e-taqafa : « Au –Beijing » pourquoi ce choix de nom pour cette exposition ?

Khalid El Bekay : J’ai connu au Maroc l’écriture de droite à gauche puis de gauche à droite en Espagne. Lors de mon voyage en Chine, j’ai découvert l’écriture verticale, ce qui a représenté un tournant dans mon travail pictural. Désormais, mes compositions sont verticales et ma lecture picturale l’est également. Par ce titre, j’ai voulu rendre hommage à Pékin ou Beijing, cette ville qui m’a inspiré. Après mon retour de Pékin, j’ai organisé une exposition en Espagne qui porte le même titre, j’ai voulu que l’actuelle exposition présentée dans mon pays natal le porte aussi car il s’agit d’une étape importante dans mon parcours artistique.

e-taqafa : Que représente pour vous cette exposition à l'Espace Rivages ?

Khalid El Bekay : Cette exposition à l’Espace Rivages est une occasion pour montrer mon nouveau travail au public marocain. J’ai fait plusieurs expositions au Maroc dans des galeries privées et institutionnelles. Mais pour cette exposition à l’Espace Rivages, il y a un lien très particulier entre la Fondation Hassan II et moi notamment avec son Président-délégué M. Omar Azziman, qui a toujours montré un grand intérêt pour mes activités artistiques. La Fondation m’a toujours soutenu pour mes projets en Espagne. Elle porte un grand intérêt pour les MRE. Avec cette exposition à l’Espace Rivages, la Fondation montre au public marocain le travail de l’un de ses artistes, en démontrant qu’elle s’intéresse à toutes les disciplines des MRE. Enfin, je veux dire que le travail de la Fondation Hassan II nous fait sentir que nous ne sommes pas oubliés par notre pays.

Propos recueillis par Fatiha Amellouk pour e-taqafa.ma