Bouhamidi est en quête d’équilibre et de pureté entre formes et couleurs. Sa création est une expérience visuelle captivante par sa richesse chromatique entre teintes contrastées qui capturent la lumière. Ses œuvres sont vibrantes d’énergie.
E-taqafa : Pourquoi le titre "Sanctuary Kingdom"?
Rachid Bouhamidi : Dans mes œuvres, les personnages représentés habitent un lieu à l'abri des trahisons du monde réel. Ils vivent dans ce lieu empreint de paix et de plénitude et même les scènes de violence sont traitées avec compassion et compréhension. J’ai pensé aussi à « ville sanctuaire » pour aborder les lieux de refuge des immigrants sans papiers et les exclus victimes de harcèlement et d'intimidation, j’ai opté pour ce côté mythique, pour désigner une sorte de pays féérique où les gens sont libérés de la peur et de la douleur.
E-taqafa : Les compositions de vos œuvres sont agencées entre végétation et silhouettes, pourquoi ce choix?
Rachid Bouhamidi : Souvent, il m'arrive de travailler avec certains motifs dont je crée des variations. Par le thème de la végétation, je souhaite transmettre un sentiment de coexistence entre l'humain et le monde naturel. Ces motifs sont également utilisés pour progresser au niveau de mes techniques artistiques. En outre, je développe pleinement à l’heure actuelle une autre recherche au niveau des formes.
E-taqafa : Vous avez été marqué par l'artiste Matisse?
Rachid Bouhamidi : Oui, notamment dans la manière dont Matisse a simplifié le langage pictural. Il a simplifié la peinture au point qu'elle s'est fondue dans les arts décoratifs qu'il admirait tant. Pour moi, la peinture existe dans une sorte de tension entre la simplicité formelle et la complexité de l'exécution. En outre, je pense que nous avons tous les deux des affinités pour certains sujets, à savoir la femme et certains aspects du monde naturel, en particulier la nature et son rapport avec les humains.
E-taqafa : Un mouvement répétitif marque vos œuvres, c'est voulu?
Rachid Bouhamidi : Je m’inspire de la musique et je pense que la notion de rythme visuel est très importante dans mon travail. Une peinture permet au spectateur de saisir l'image en partie grâce au rythme de l'action, c'est-à-dire grâce à la sensation de mouvement des formes dans un ordre quelque peu mesuré. Je suis moi-même musicien et percussionniste, donc la sensation du mouvement, analogue au déroulement d'une mélodie ou à la répétition d'un rythme, est quelque chose que je considère comme un élément crucial de mon travail. La sensation de mouvement ordonné dans la création d'une peinture est quelque chose qui me vient naturellement.
E-taqafa : Vos créations sont denses en formes et en couleurs, pourquoi?
Rachid Bouhamidi : J'apprécie beaucoup cette densité de la forme et de la couleur, ainsi que la qualité haptique du toucher dans une peinture. Mes peintures récentes, en particulier, impliquent des glacis de couches de peinture pures et saturées, translucides. L'objectif est de construire un espace pictural profond, d'une certaine manière, avec des couleurs pures et une forme volumétrique que je trouve passionnante et novatrice. La couleur est également importante car elle contribue à donner à ce que je représente une dimension psychologique à la fois essentielle et difficile à expliquer.
E-taqafa : Quelques motifs dans vos œuvres rappellent ceux du Zellige marocain, vous avez été influencé par le patrimoine marocain?
Rachid Bouhamidi : Oui, j'ai été fortement influencé par les traditions artistiques classiques et populaires du Maroc. Ma famille a possédé pendant de nombreuses années un magnifique restaurant marocain, conçu comme une version miniature d'une grande maison traditionnelle ou d'un palais marocain, avec de magnifiques plâtres et des carreaux de zellige finement travaillés. Je les ai observés et étudiés de près au fil des ans et j'ai intégré ces motifs dans mes peintures et dans les petites structures que j'ai construites et peintes par intermittence au cours des dix dernières années.
E-taqafa : Les couleurs adoptées sont rayonnantes, pourquoi cette palette?
Rachid Bouhamidi : L'un des aspects les plus fondamentaux de la peinture est que les objets représentés ont une lumière qui peut être obtenue par un changement de tonalité ou par l'interaction de certaines couleurs. Au terme d'un long processus de recherches, qui m'a littéralement pris de nombreuses années, j'ai acquis une intuition qui me permet de savoir quelles couleurs brillent le plus par rapport aux autres et en fonction de la spécificité d'une forme donnée. Cette sensation de rayonnement confère une impression de grandeur et de majesté à mes peintures. J'essaie toujours de trouver les couleurs qui permettront le mieux d'atteindre ces objectifs.
E-taqafa : Des personnages sont en interaction, comme une scène de théâtre, pourquoi?
Rachid Bouhamidi : L’idée d'une conversation entre plusieurs personnages dans un tableau est quelque chose de très important pour moi, même s'il s'agit simplement d'une conversation entre un vase de fleurs et un fruit. Tout dans la peinture implique une relation, et souvent, cet acte relationnel se déroule de manière très théâtrale. J'aime très souvent raconter une sorte d'histoire, donc naturellement, les personnages de mes tableaux doivent sembler interagir d'une manière qui en dise long au spectateur sur eux-mêmes.
E-taqafa : La femme est omniprésente notamment comme une figure sacrée, quel message voulez-vous transmettre par cette présence?
Rachid Bouhamidi : Précisément parce que les femmes sont des figures sacrées. C'est difficile à expliquer pour moi, car c'est quelque chose de très personnel. Les femmes méritent d'être respectées dans toutes les sociétés, indépendamment de leur classe sociale, de leur race, de leur religion, de leur nationalité ou de leur statut social. Dans l'ensemble des œuvres que je présente, les femmes occupent une place mythique, mais les modèles que j'ai tirés de ma propre vie proviennent d'un monde où elles sont souvent reléguées à des rôles marginaux. J'espère donc que mon travail contribue à rehausser le statut des femmes et à offrir une sorte d'essai visuel sur la notion de féminité.
E-taqafa : Vos créations transmettent d'autres messages?
Rachid Bouhamidi : L'idée d'un message transmis par la peinture est une notion qui me préoccupe souvent. Je pense que la peinture a le potentiel de présenter une vision du monde parallèle à la réalité, même si, ce faisant, elle communique un message dont le contenu précis et la manière de le comprendre sont évolutifs. Cette évolutivité du message en art fait sa force. Autrement, l'œuvre d'art fonctionne davantage comme une forme de propagande et n'est pas véritablement une œuvre d'art.
E-taqafa : La présence animale est importante également?
Rachid Bouhamidi : J'aimerais souligner l'importance de notre lien avec la nature, qui semble s'éloigner de plus en plus à chaque génération, en raison de la disparition des animaux et des plantes sur Terre. Je pense, même si c'est un détail, que les animaux devraient être présents dans mon travail, car ils sont merveilleux et, bien sûr, parce que nous partageons des traits communs.
E-taqafa : Vous êtes resté attaché à vos origines marocaines, comment expliquez-vous la force de ce lien?
Rachid Bouhamidi : Issu d'une famille franco-marocaine, né et élevé aux États-Unis, j'ai toujours été fasciné par la culture marocaine, à la fois vaste et insondable, à laquelle mon existence est étroitement liée. N'ayant jamais visité le Maroc avant l'âge adulte, mon contact avec ce pays était très lointain, presque un rêve. Depuis mon premier séjour, j'ai consacré une partie intégrante de mon travail à renouer les liens, dans mon imaginaire, entre le rêve du Maroc que je porte en moi et la réalité du pays.
E-taqafa : Que représente pour vous cette exposition à l'Espace Rivages?
Rachid Bouhamidi : Cette exposition représente l'aboutissement de mon désir, en tant qu'individu et en tant qu'artiste, de renouer avec le pays de mon père. Cette exposition est une reconnaissance de mon appartenance au Maroc . Je remercie La Fondation Hassan II, ainsi que mes galeristes. Des mesures audacieuses ont été prises pour que je me sente, moi et mon art, chez nous au Maroc.