L’émigration : Un déracinement puis une implantation

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Hanan Bouanani

Qu’elles soient traditionnelles, modernes, libérées, désemparées, épanouies ou tout simplement amoureuses… Toutes les femmes sont les personnages de l’exposition « Les toiles se dévoilent ». Chaque femme raconte sa propre histoire en se fiant à la sincérité de l’artiste qui transmet avec fidélité.

Foncièrement expressionniste, Hanan Bouanani révèle une création influencée par l’art allemand et russe. Résidante en Belgique, terre de sa naissance, l’émigration est pour elle un déracinement puis une implantation en vue d’un partage et d’un enrichissement.

e-taqafa : Vos personnages sont souvent des femmes, seules ou en couple, pourquoi ce choix ?

Hanan Bouanani : Si souvent, la femme est au centre de mon art, seule ou en couple, peut-être qu’elle renvoie à ma propre aventure intérieure, ou c’est ma manière de célébrer la femme, dans tous ses états, dépositaire de la tradition, moderne ou libérée, amoureuse...

e-taqafa : Pour se dévoiler, les personnages ont-ils une histoire ou sont-ils représentés sans contexte spécifique ?

Hanan Bouanani : Mes personnages, à leur manière me dictent leur loi, me surprennent, je les suis, les accompagnent, ils se révèlent à moi, me racontent leurs histoires, ce sont eux qui décident... Au hasard de mes voyages, de mes rencontres, certains se sont glissés en moi, une expression ici, une ambiance là, comme un trésor enfoui en moi, à mon insu. Parfois certains se réveillent, frappent à la porte de mon imagination, ils se glissent en fêlures sous mes couteaux, en caresse sous mes pinceaux. J’essaie de leur être fidèle.

e-taqafa : Qu’est ce que le geste créatif pour vous ?

Hanan Bouanani : Le geste artistique est un élan de partage, comme si l'artiste, empli d'un trop-plein d'émotions, se dévoilait, se découvrait, laissait déborder sur son art, cet excès comme pour s'apaiser. Dans le partage avec autrui, il essaie d'apporter sa petite part dans le monde, à le rendre meilleur. Souffrance ou bonheur, il essaie de les restituer avec sincérité.

e-taqafa : Une série d’aquarelles est exposée à côté des acryliques sur toile ou au couteau, cette diversification des technique est –elle voulue ?

Hanan Bouanani : De même que mes personnages surgissent selon leur gré sur mes toiles, leur humeur, leur état d'esprit, doux, fort, gai, nostalgique... ils inspirent également la matière qui les représentera. La douceur de l'aquarelle, la volupté de l'acrylique, la griffure du couteau, l'affleurement d'un pinceau, leurs humeurs chuchotent en secret à mon âme et me guident dans mes choix.

e-taqafa : Vos créations sont une « holi » de couleurs, où puisez-vous cette inspiration ?

Hanan Bouanani : Je suis une femme du soleil, mon pays est d'ombre et de lumières, les couleurs y jaillissent, y surgissent, en joie ou en violence.

e-taqafa : Avez –vous un statut particulier en tant qu’artiste en Belgique, en raison de vos origines marocaines ?

Hanan Bouanani : Autant que je le peux, je me refuse à me cantonner à un registre, à un groupe, même si le soleil perce souvent entre les poils de mes pinceaux. De part ma formation, j'ai aussi la chance de partager et transmettre mon amour et ma curiosité de l'art, dans le milieu scolaire, aux enfants. Ils ont cette innocence, cette fraîcheur, une source pure, sans doute une spontanéité, parfois cruelle, mais qui nous fait parfois défaut.

e-taqafa : Qu’est ce que l’émigration pour vous ?

Hanan Bouanani : C'est un peu comme si un arbre se déracinait, enfouissait ses racines dans une terre nouvelle, et tentait cependant de conserver ses particularités, tout en partageant ses fruits avec cette nouvelle contrée, d'y apporter sa différence comme un enrichissement réciproque.

e-taqafa : Si les toiles de cette exposition à l’Espace Rivages, se dévoilaient, elles raconteraient quelle histoire ?

Hanan Bouanani : La célébration de la vie, de la joie, de l'amour, du partage, de la communion entre les êtres. Etre une marocaine qui expose en Europe, c'est être une femme de tradition qui s'intègre dans la modernité d'une époque, être une belge qui expose au Maroc, c'est être une femme moderne et libre qui revendique son attachement à ses traditions.

Propos recueillis par Fatiha Amellouk