Les périodes marquantes du Ghiwanisme

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La carrière chansonnière du Ghiwane, d’environ un demi-siècle, peut être répartie en cinq périodes marquées, malheureusement par le départ ou la disparition de ses fondateurs ou leadeurs successifs, ces périodes sont également marquées par des différences d’écritures thématiques et musicales notables.

Ainsi, schématiquement, la première période (1970-1974, deux albums) marquée par le départ de Tahiri (pour contribuer à la création du groupe marrakchi Jil Jilla) et le décès prématuré de Boujmaa ; la deuxième période (1975-1981, six albums) se caractérise par l’empreinte musicale de Paco, tendance confrérique principalement Gnaoui et par l’enregistrement d’albums concepts comme Lebtana, Erregaya et Zad el Hem. La troisième période (1981-1995 date à laquelle Paco a quitté le groupe, neuf albums) est marquée par un tournant important dans le schéma chansonnier du groupe en s’attaquant à des thématiques à la fois humanistes et conjoncturelles. La quatrième période (1997 date du décès de Batma-2006 date où Allal a quitté le groupe, trois albums) est marquée par une écriture référence à Batma et des compositions musicales qui manquent de technicité, de précision et de profondeur au niveau des instrument mélodiques, l’absence de Paco, décédé entretemps, et de Allal annoncent le déclin du groupe, il ne résiste à la disparition que grâce aux performances scéniques et collaborations avec d’autres artistes en plus du leadership de Rachid Batma devenu véritable âme de la formation ; d’ailleurs, le seul rescapé des fondateurs (Omar Essayed) n’est présent sur scène qu’assis, gardant son incontournable voix mélodique, chaude et nostalgique du ghiwane d’antan. On peut ajouter une cinquième période, (depuis 2007, la formation n’a produit aucun album significatif) et à partir de 2020, lors des prestations scéniques, le groupe est accompagné par un groupe de Hmadcha de 4 ou 5 performeurs, jouant le rôle de chœur et de danseurs.

Lors de sa dernière tournée européenne (2024/2025), l’absence de Omar pour des raisons de santé, est à remarquer, le groupe s’est présenté ainsi, Hamid Batma au Guenbri, Rachid Batma aux Tbilats, Chifa au Banjo et plusieurs musiciens aux (batterie électronique, derbouka, bass électrique, piano, viollencelle, violon et qanoun), et chose nouvelle, les ghiwanes d’origine en veste marocaine rouge et pantalon noir, les autres musiciens en chemise blanche et pantalon noir. Il s’agit, à notre avis, du Ghiwane du XXIème siècle, offrant son patrimoine chansonnier du début des années soixante-dix du XXème siècle. Il est ainsi, l’un des rares groupes marocains qui a enchanté autant au moins trois générations de marocains que la diaspora marocaine à travers le monde.

 La chanson tube, marque de fabrique du groupe, est sans conteste ‘ssenya (littéralement le plateau –de thé-), laquelle plus un symbole et une symbolique qu’un ustensile utilisé au quotidien par les Marocains et bien d’autres civilisations de par le monde. Sa particularité est avant tout de réunir autour d’elle, sa symbolique centrale renvoie autant à l’agora qu’à la table ronde des chevaliers dans la tradition Celte ; en outre dans sa configuration pleine, théière et verres, elle est la métaphore de la distribution du savoir et du pouvoir ; à la regarder on dirait qu’il s’agit d’une Halqa où le conteur (théière) égraine une épopée par épisodes (chaque verre de thé). Plus que cela, elle représente la mémoire et le souvenir, car elle se transmet en héritage de père en fils, de mère à fille, ou encore, sa valeur est telle qu’elle peut être offerte aux nouveaux mariés, mise en gage ou représenter le seul bien dont on ne se sépare qu’en cas d’absolue nécessité, car elle signifie le temps passé, présent et futur. On la regarde, on se réunit autour d’elle pour évoquer, se remémorer autant les événements que les défunts ou les proches partis au loin ou exilés, mais également le centre-central où se règlent les différents et où se concluent les pactes économiques, sociaux, voire politiques.

Le Ghiwane, avec cette chanson, intertextuelle, réarticule le chant nostalgique, souvent courtois ou amoureux, autour d’axes associés à l’exil voire aux déboires de l’immigration/émigration, et à l’absence.

Pure tradition nostalgique, le chanteur prend ici la posture du canteur[1] qui inscrit sa narration dans tout un catalogue de réminiscences qui renvoient au symbolisme de la Siniya avec son cérémonial, lequel, au-delà des objets évoque des postures à la fois physiques et morales. Le cercle central est entouré de personnes hiérarchisées par le fait que c’est le maître du savoir-faire du breuvage sacré qui préside au cérémonial qui représente une réalité, le rituel d’un office religieux. Ainsi, le canteur évoque en premier lieu la compagnie des hommes de qualité, vertueux et loyaux. La valeur morale qui transparait dès le prélude de la chanson, c’est la loyauté et l’exemplarité.

 

[1] Terme utilisé en Cantologie, où le chanteur est en narration performative qui établit avec l’auditeur ou le spectateur un rapport de communion abolissant les différences.

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