Sonia Recasens, le goût de l'art

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Sonia Recasens

Critique d'art et commissaire d'exposition indépendant, Sonia Recasens investi les multiples champs d'expression où foisonne la réflexion artistique. Spécialiste de l'art féministe et de l'art africain contemporain, elle a collaboré  en 2014 avec l'Institut du Monde Arabe pour l'exposition événement, le Maroc contemporain. Elle présentera une exposition inspirée sur   figure de Marie Madeleine, l'occasion d'évoquer  la présence féminine à travers  une densité universelle.

e-taqafa : Comment êtes-vous venue à l'art contemporain ?

Sonia Recasens : J’ai commencé l’histoire de l’art au lycée à l’âge de 15 ans. J'ignorai encore vers quoi je m’embarquais, mais mon intuition me disait de foncer. Et plus j’en apprenais, plus je voulais en découvrir. D'emblée, j'ai été fasciné par l’art contemporain, car il bousculait les codes et perturbait notre appréhension de l’art. J’ai ainsi continué à l’université où je me suis spécialisée en art contemporain.

e-taqafa : Parlez-nous des actions que vous menez en tant que critique d'art et commissaire d'exposition ?

Sonia Recasens : Je suis présidente et rédactrice en chef de Portraits, une plateforme de critique d’art dédiée à la création émergente. Par ailleurs, j’écris régulièrement pour des artistes, des institutions et des galeries, tout en développant des projets d’exposition pour différents types de structures (galerie, centre d’art, espace indépendant). J’aime varier mes collaborations avec différentes structures mais aussi les types de projets. Les rencontres sont au cœur de ma pratique : elles impulsent ou enrichissent les projets d’écriture et de commissariat.

e-taqafa : Quel est votre domaine de prédilection ?

Sonia Recasens : Comme tout un chacun, j’ai plusieurs obsessions. J’ai dès lors, développé, au fil des ans plusieurs chapelles. Mon premier cheval de bataille reste les artistes femmes dans l’histoire de l’art et la question de leur visibilité, aujourd’hui. J’ai également, une affection particulière pour les arts textiles qui traversent mes différentes pratiques et projets. En outre, j’ai un grand intérêt pour les artistes issus des scènes africaines et du monde arabe.

e-taqafa : Quelle thématique abordait « Cosmogonie » en 2015 ?

Sonia Recasens : Cosmogonies évoquaient la rencontre de trois univers plastiques autour de la temporalité, de la spiritualité et de la transmission de savoirs et d’énergies. L’exposition était l’occasion d’un dialogue sensible entre les créations de Myriam Mihindou, Kapwani Kiwanga et les œuvres inédites de l’artiste franco-caribéenne, Hessie. Les œuvres de ces trois artistes s’inscrivent dans une temporalité particulière marquée par la répétition parfois obsessionnelle d’un geste, d’un motif à travers une implication ritualisée du corps.

e-taqafa : Quels sont les contours de vos champs de recherche consacrés à l'art féministe et à l'art africain contemporain ?

Sonia Recasens : Je m’intéresse à une relecture de l’histoire de l’art sous le prisme des gender et postcolonial studies en vue d’une décolonisation des arts. Je m'attache à la réhabilitation d'artistes femmes ayant marqué l'Histoire de l'art et qui ont été oubliées. Hessie, a été très active dans les années 70, puis a disparu de la scène artistique. Mon action est de faire redécouvrir l'œuvre de ces femmes, les travaux d'Hessie, s'inscrivent de plus dans l'ère actuelle. Quant à Mona Hatoum, qui n'appartient à aucun courant artistique, elle est porteuse d'une riche et profonde œuvre. On se souvient de son exposition événement en 1994, puis il lui a fallut attendre l'été dernier pour qu'on lui consacre une nouvelle exposition au Centre Georges Pompidou. Actuellement, elle expose à la Tate Modern à Londres et cette exposition fera halte à Helsinki en octobre prochain. J'encourage aussi, les créations de Myriam Mihindou, questionnant le métissage et l'histoire coloniale de façon subtile. Ymane Fakhir, est également, une artiste dont je soutiens l'engagement. Son regard explore les traditions et les gestes quotidiens avec poésie et pertinence. Elle révèle un réel héritage lié à la société marocaine et présentera une exposition à la galerie culte à Rabat en septembre prochain.

e-taqafa : Parlez-nous de vos liens avec le Maroc ? Que retenez-vous de MADRASSA#1 programme régional lié aux pratiques d'art contemporain qui s'est tenu à Casablanca sous l'impulsion de l'Atelier de l'Observatoire?

Sonia Recasens : J’ai une affection et des liens profonds avec le Maroc, puisque ma mère est marocaine et que j’y ai passé tous mes étés de 0 à 20 ans. Ensuite, avec les études, les stages, les jobs d’étudiants et la vie active, mes séjours au Maroc sont devenus plus rares. Mais l’envie de revenir au Maroc afin d'y développer des projets me trottait dans la tête. L’opportunité de travailler en 2014 sur la grande exposition Maroc contemporain à l’Institut du Monde Arabe, n’a fait que conforter ce désir. Et puis MADRASSA#1 se présentait comme l’occasion rêvée permettant de découvrir la réalité de la scène artistique marocaine. Ce fut une très bonne expérience, car riche en belles rencontres et en échanges stimulants. C’était important de sortir de ma zone de confort, de découvrir d’autres approches, d’autres enjeux.

Propos recueillis par Fouzia Marouf