« Je suis subjugué par ce ressenti de nostalgie »

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L’artiste diversifie les styles et crée selon des séries. Son approche conceptuelle suit une quête et une curiosité créative. Il introduit son interprétation plastique pour aborder des thèmes ou représenter des chevaux, des silhouettes, des personnages ou des arbres.

Rencontre

e-taqafa : Quelle est la particularité de cette exposition ?

Nacir Chemao : En fait, j’ai choisi pour cette exposi­tion au Maroc de présenter une rétrospective de mes travaux qui dévoilent, dans chacune de mes séries, les styles de mes œuvres picturales et les nouvelles techniques utilisées. La parti­cularité réside, donc, dans ce choix diversifié en vue de rapprocher les fervents néophytes et les amateurs de l‘art de mon cheminement personnel d’artiste et du processus qui m’a conduit à passer d’un style à un autre. Cette exposition donne une vue d’ensemble sur mon œuvre intégrale, depuis la genèse jusqu’à nos jours. En outre, elle permettra d’expliciter davantage le sens authentique que je donne à mon courant plastique, nommé « Paradoxart ». Celui-ci est porteur d’une éthique dans l’art au service de l’entendement.

e-taqafa : Dans quel style artistique inscrivez-vous vos créations ?

Nacir Chemao : Toute nouvelle création nécessite un nouveau style d’interprétation plastique. Cependant, tout style, même renouvelé, demeure marqué par le tempérament, l’âme, l’égo et la foi de l’être-artiste. En fait, mes styles reposent sur ma propre démarche éthique corrélée à ma méthode structurale. Qu’elles soient néoréalistes ou narratives, mes créations, produites d’une manière autonome, s’inscrivent librement dans les formes de style conçues et adaptées spécifiquement. Pour moi, chaque nouvelle idée nécessite une nouvelle interprétation stylistique. Mes idées, qui me viennent libres, ne doivent jamais se laisser confiner par un style unique « dictatorial ».

e-taqafa : Quelle est votre démarche artistique ?

Nacir Chemao : Mon approche de l’art et ma démarche esthétique me sont toujours suggérées par mon incessante quête du savoir philosophique, ethnologique, social et mystique. Cette curiosité intellectuelle, qui ne me quitte jamais, me procure une énergie qui renforce à la fois mon savoir-faire et mon vouloir-faire, chose qui me permet, in fine, de perpétuer mes créations et de leur donner de nouveaux horizons d’interprétation esthétique.

e-taqafa : Diversifier les séries est nécessaire pour vous ?

Nacir Chemao : Cela m’arrive par périodes, notam­ment celles marquées par des lassitudes dues à des changements brutaux. C’est le cas, par exemple, de la phase récente du confinement, à la suite de la pandémie du Covid 19. Les séries sont donc, des produc­tions épisodiques. Elles correspondent à mon état d’esprit et à mon humeur, selon les conjonctures vécues.

e-taqafa : Avez-vous des thèmes récurrents ?

Nacir Chemao : Dans mes séries, il y a, en principe, un commencement et une fin. Cependant, il est vrai que pour les séries représentant les chevaux, les silhouettes, les médinas et les arbres, j’ai un faible d’y revenir constamment parce qu’elles sont, à mes yeux, de puissants leitmotivs où je me sens libre et serein pour peindre l’intérieur des ruelles, pour représenter l’immense arbre « d’al Akhlak », pour dessiner mes chevaux en bleu, en jaune ou en vert. Le cheval, dans cette posture, n’est en fait, que moi-même.

e-taqafa : Vous créez suivant des thèmes, vos tableaux ont une histoire narrative ?

Nacir Chemao : Effectivement. Mais, pas pour tous les thèmes. Ma créativité nécessite parfois de privilégier le style narratif pour pouvoir résor­ber des conflits antinomiques d’ordre philo­sophique. Je surmonte esthétiquement les oppositions en transcendant les dilemma­tiques simultanéités des paradoxes que cela soit au niveau des sphères politiques, religieux ou celles correspondantes au champ social. Mes interprétations mystiques nécessitent par­fois d’illustrer mes toiles par une narration sur le plan historique visant à créer chez l’observa­teur un entendement éthique inhérent en fait, à chaque âme vis-à-vis de toutes les espèces vivantes, humaines, végétales ou animales.

e-taqafa : Quel est votre rapport au cheval ?

Nacir Chemao : J’ai un lien empathique au sens fort du terme avec cet animal. Je m’identifie à lui. Je le considère comme étant moi. Dans toutes mes œuvres, le cheval c’est moi. Je me sens libre de gambader avec ma foi et d’être à la fois partout et ailleurs. Je me substitue au cheval en tant que signe, dans sa forme sauvage et libre. Je l’adopte pour ma créativité, non pas comme un symbole récalcitrant, mais plutôt comme un signe qui me libère de toutes les contraintes des formes qui l’entourent. S’il est récurrent dans mes œuvres, c’est parce qu’il reste un parfait leitmotiv pour l’autonomie de mes lignes « ma signature plastique esthétique ».

e-taqafa : Vous avez une approche nostalgique dans « Souk nostalgie ». Comment procédez-vous ?

Nacir Chemao : Par cette approche, j’introduis des éléments, des signes typiques, des endroits et des lieux qui m’ont bien marqué dans mon vécu. J’aime styliser les anciennes et monu­mentales portes, les arcades de ma ville Salé, de la Tour Hassan de Rabat ou la Tour Eiffel à Paris. Je suis, à chaque fois lors de ma créati­vité, subjugué par ce ressenti de nostalgie qui me permet de confronter les lieux, de les interpréter et de les représenter d’une manière surréaliste. Je sens souvent, dans mes actes picturaux, que je suis à la fois au Maroc dans une médina allemande et en Allemagne dans un boulevard marocain. C’est cette simultanée (simultanéité) des choses qui, en fait, me fas­cine et me motive à peindre et à tendre le fil du rapprochement entre les cultures occidentales et orientales.

e-taqafa : Que représente pour vous cette exposition à l’Espace Rivages ?

Nacir Chemao : C’est pour moi un grand honneur d’exposer mes œuvres à l’Espace Rivages. Un plaisir aussi d’avoir cette opportunité de montrer mes œuvres anciennes et inédites au public dans mon pays. Les artistes marocains, résidents à l’étranger, chérissent leur pays et d’une manière de plus en plus forte. Je pense qu’ils souhaiteraient tous faire connaître leurs travaux dans leur pays et rencontrer les amou­reux de l’art. Les moments de partage sont tou­jours une immense joie pour les artistes. C’est pour cette raison que je tiens tant à remercier chaleureusement la Fondation Hassan II pour les Marocains Résidant à l’Etranger qui a choisi, depuis sa création, de solliciter les artistes de la diaspora.

 

Propos recueillis par Fatiha Amellouk