Une architecture moderne et métissée

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Cet immeuble de seize étages (1952, Jacques Guyon) présente un spectaculaire jeu de balcons filants en ruban. L’appellation « Villas Paquet » fait référence aux nombreuses dépendances et services dont disposent les appartements qui apparentent ces derniers à des maisons individuelles.

Pour le commun des mortels, Casablanca est la ville art-déco par excellence. Oui, mais sous ce vocable générique et généralisé, se cache une variété de mouvements représentatifs de l’architecture du XXe siècle.

Les premiers bâtiments à être érigés en dehors de l’enceinte de la médina sont tout naturellement de style néo-mauresque. Un style inventé et largement diffusé, des décennies auparavant, en Algérie et en Tunisie. Très apprécié, aujourd’hui, pour son côté pittoresque et romantique, le néo-mauresque a été fortement combattu par Lyautey, Prost et compagnie. On lui reprochait de se contenter de plaquer des éléments du décor islamisant (arcs en plein cintre ou brisés, panneaux de faïence façon azulejos, moucharabieh en ciment et autres tuiles vertes) sur des bâtiments à la volumétrie et à la circulation européenne classiques pour ne pas dire ordinaires. L’Hôtel Excelsior sur la place des Nations-Unies en est un parfait exemple.
Pour contrer ce goût du néo-mauresque, l’équipe de Lyautey et leurs affidés se sont attelés à créer un style totalement nouveau et complètement qualifié de néo-marocain. Lyautey en a lui-même fixé les règles : il s’agissait de s’inspirer de l’architecture traditionnelle des villes makhzen pour ce qui est de la sobriété et de la blancheur des façades, ainsi que des principes de circulation des gens et de l’air, la diffsion de la lumière des maisons à patio. À cela, il fallait rajouter l’utilisation systématique des éléments du vocabulaire décoratif traditionnel marocain : zellij, plafond en bois de cèdre, ferronnerie et autres tuiles vertes vernissées.

UN STYLE TOTALEMENT NATIONAL

Mais peu attaché à la tradition qu’il était, Lyautey n’en était pas moins féru de modernité. Hygiène, confort, commodités, simplicité et fonctionnalité étaient des termes récurrents dans son discours.
À Casablanca, les plus beaux fleurons de l’architecture néo-marocaine sont les bâtiments-monuments regroupés autour de la place Mohammed-V (ex-place Administrative) : le Tribunal, le Consulat de France, la Wilaya, la Poste et Bank Al-Maghrib.
Au même moment, des promoteurs ont construit des immeubles de rapport dans un style néo-classique tout droit importé de la Côte d’Azur et de la Riviera, appelé aussi « pâtisserie Louis XV », en référence aux éléments décoratifs, quelque peu lourd, ornant les façades : têtes de Bacchus et guirlandes sculptées dans le ciment, corniches et autres frises, etc. Snobé par les esthètes, ce type d’architecture plait toujours autant au grand public.
Au milieu des années vingt, va déferler sur Casablanca la vague de l’art-déco. Des pans entiers de la ville seront estampillés très en vogue partout dans le monde mais qui sera développé à une échelle exceptionnelle à Casablanca. Mieux, à côté d’un art-déco au cachet international, se développera un art-déco particulièrement casablancais, intégrant, avec bonheur, les éléments décoratifs marocains particulièrement le zellij. Le plus bel exemple de cet art-déco là reste l’immeuble Glaoui – du nom du Pacha de Marrakech qui en était le propriétaire, à l’entrée du boulevard Mohammed V.

L’immeuble Assayag (1930-1932, Marius Boyer), avec ses trois tours portiques de 8 étages, s’inscrit dans la refonte des quartiers du port en quartier des affaires. Cet élégant ensemble comporte des équipements à la pointe de la modernité (garage, ascenseurs, vide-ordures, …), encore inexistants en Europe.

Dès la fin des années vingt, on voit surgir à Casablanca des bâtiments aux façades nues et lisses, à la volumétrie cubiste, d’une simplicité et d’un dépouillement élégant. Ce style dit fonctionnaliste, aux accents Bauhaus affirmés, va lui aussi essaimer dans la Ville Blanche. L’exceptionnel immeuble îlot dit Assayag, rue Hassan Seghir, en est un super échantillon. Bientôt de grands vaisseaux, tout en courbes soulignées de longs balcons filants, ponctueront de leur prou les grands boulevards de la cité. Le style « paquebot » ou « streamline » sera adopté, particulièrement pour les grandes tours comme l’immeuble Liberté, surnommé « dix-sept étages », alors un des plus hauts d’Afrique, marque encore aujourd’hui les esprits pas son élégante silhouette élancée.
Dans les années cinquante, soixante et soixante-dix, un nouveau style audacieux et provoquant, s’impose à Casablanca : le brutalisme. Débarrassé de tout élément décoratif, ce style glorifie le béton – souvent livré brut de décoffrage – en le soumettant à des formes futuristes. Il serait faux, à la lecture de ce bref récapitulatif des principaux mouvements architecturaux ayant marqué de leur empreinte Casablanca, qu’il s’agisse là de différents styles qui cohabitent, en toute indifférence, les uns à côté des autres. Très souvent, ils s’interpénètrent en toute liberté : tel bâtiment art-déco a gardé des aspects art-nouveau et/ou néo-marocain ; tel fonctionnaliste a de forts relents art-déco, etc. À tel point qu’on a maintes fois qualifié l’architecture de Casablanca d’« architecture métissée ».

JAMAL BOUSHABA

Source : Casamémoire le Mag


Galerie: 
Détail du spectaculaire balcon aux lignes incurvées de la Villa Sami Suissa (1947-1948, Jean-François Zévaco et Paolo Messina). Cette élégante maison a longtemps dominé le boulevard d’Anfa. Elle a été transformée, depuis quelques années, en un salon-restaurant.
Les anciens abattoirs (1922, Georges-Ernest Desmaret), conçus dans un style particulièrement élaboré, présentent une belle et puissante fusion entre l’art-déco et le néo-mauresque. Depuis 2008, ils ont été reconvertis en espace culturel et accueillent régulièrement des manifestations culturelles et artistiques.
Détail de l’immeuble Glaoui, boulevard Mohammed-V, les carreaux polychromes de zellij remplacent ici les carreaux de faïence utilisés dans l’art-déco européen.
Jean-François Zévaco, Domenico Basciano et Paolo Messina réalise avec l’aérogare de Tit-Mellil (1951) une œuvre remarquable par la liberté et le lyrisme des formes imaginées. Les deux bâtiments de l’ensemble sont reliés par une passerelle couverte, de vingt mètres de portée, semblant flotter au-dessus du sol.