Casablanca à l’échelle mondiale

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En haut à gauche, détails de bâtiments du Hâvre. En bas à gauche, vue de Brasilia. En haut et en bas à droite, vues de Tel-Aviv. Ces dernières pourraient tout aussi bien représenter Casablanca.

Après l’inscription, en 2012, de Rabat au patrimoine mondial, quels sont les arguments que Casablanca peut avancer pour figurer, à son tour, sur la fameuse liste ? Petit tour de la question.

Pour être reconnu comme patrimoine mondial, un bien doit témoigner d’une valeur universelle exceptionnelle. Il doit répondre à au moins un des dix critères de sélection énoncés dans la charte de l’Unesco. Le second impératif est l’authenticité et l’intégrité du bien : il ne doit pas avoir été dénaturé. Sa demande d’inscription doit être argumentée. Le bien doit être juridiquement protégé de manière à présenter des garanties de conservation. L’inscription ne donne droit à aucune subvention sauf cas exceptionnel. Pourquoi donc la demander ? Elle donne une reconnaissance internationale à la ville. C’est, indéniablement, un atout pour attirer de nouveaux touristes : une hausse de 20 à 30% de fréquentation est généralement enregistrée dans les sites inscrits. Le patrimoine architectural du XXe siècle est sous-représenté dans la liste des sites inscrits : sur près de 800 bien culturels, une dizaine seulement relèvent de l’architecture moderne. En 1987, Brasilia est la première ville du XXe siècle à être classée patrimoine mondial par l’Unesco. La capitale du Brésil est une œuvre gigantesque (11296 ha), construite en un laps de temps record, entre 1956 et 1960. La ville porte la marque de deux personnalités : l’urbaniste Lucia Costa et l’architecte Oscar Niemeyer. En 2003, Tel-Aviv rejoint la liste. La ville a été construite à partir de 1919, dans un territoire alors encore sous domination britannique. L’urbaniste Patrick Geddes y a posé les bases de l’urbanisme moderne, permettant à de jeunes architectes, formés en Europe, d’y expérimenter leurs désirs avant-gardistes.

UNE ARCHITERCTURE MODERNE ADAPTÉE AU CLIMAT

En 2005, c’est au tour de la ville du Havre de décrocher le titre. Entièrement détruite durant la seconde guerre mondiale, elle a été reconstruite dans les années 1950 par une équipe d’architectes dirigée par Auguste Perret, pionnier et grand maître en terme de construction en béton armé.
En 2012, Rabat est la dernière à obtenir le statut tant convoité. Elle se distingue des deux villes précédentes par le fait qu’elle abrite deux unités imbriquées mais néanmoins distinctes : la médina à l’architecture arabo-andalouse multiséculaire et la ville nouvelle, née au XXe siècle.
A l’évidence, c’est Tel-Aviv qui présente le plus de ressemblances avec Casablanca, que se soit par l’histoire ou l’idéologie ayant présidée leur création. Un des critères retenus pour l’inscription de la première est formulé ainsi : « La ville blanche de Tel-Aviv est la synthèse, d’une valeur exceptionnelle, des diverses tendances du Mouvement moderne en matière d’architecture et d’urbanisme au début du XXe siècle. Ces influences ont été adaptées aux conditions culturelles et climatiques du lieu, de même qu’intégrées aux traditions locales(1) ». Des mots qui pourraient s’appliquer tel quel à la ville blanche marocaine. Pourtant, Casablanca possède ses caractéristiques propres qui méritent une place particulière. Comme l’ont si bien souligné Jean-Louis Cohen et Monique Eleb, Casablanca est « un livre à ciel ouvert de l’architecture mondiale de la première moitié du XXe siècle ». Plus qu’ailleurs et à une échelle inégalée, le mouvement art-déco y a développé des formes nouvelles, y associant, de façon originale, l’artisanat local. Brasilia et le Havre illustrent toutes deux l’architecture des années cinquante et ne peuvent, par conséquent, rivaliser avec la diversité et le métissage architecturaux que nous offre le centre-ville de Casablanca. Elles ont cependant comme point commun de participer aux utopies du Mouvement moderne. Deux arguments viennent renforcer la demande d’inscription de Casablanca au patrimoine mondial. Le premier est que, depuis 1994, l’Unesco cherche à réduire les inégalités dans la répartition géographique des sites. Or, le Maroc appartient à la zone des « États arabes » qui est la moins dotée des cinq zones définies, avec seulement 7,5% de sites classés. Le second argument est qu’un des principaux critères de sélection est le sentiment d’adhésion de la population locale à la démarche. Si l’on en croit les débats sur les réseaux sociaux, ainsi que l’affluence des Bidaouis aux différentes actions de sensibilisation proposées par Casamémoire, l’intérêt pour le patrimoine architectural casablancais, loin d’être un phénomène de mode, est une prise de conscience durable.

YOHANN BOUIN

1. Jean-Louis Cohen et Monique Eleb. Casablanca, mythes et figures d’une aventure urbaine. Éd. Hazan/Belvisi.

Source : Casamémoire le Mag