La culture marocaine - Une brève synthèse

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Un pays agropastoral cultures en terrasses dans le Haut-Atlas

La société marocaine est issue d'une tradition agropastorale, où l’honnêteté est placée au rang de vertu. Les Marocains entretiennent un rapport étroit au sacré, ils aiment le travail bien fait et sont de fins négociateurs. Au Maroc l’hospitalité est un devoir, mais l’Amazigh peut devenir un farouche guerrier lorsqu'il s'agit de protéger ses richesses ou de garantir la solidarité au sein de son groupe. Riche d'une histoire millénaire, le Maroc a toujours su profiter des apports des sociétés qu'il a côtoyées et les absorber. La mondialisation, la migration, l'évolution du monde contemporain projettent la société marocaine vers de nouveaux horizons où se côtoient tradition et modernité.

1.Une société agropastorale

La société marocaine est, à la base, une société agropastorale qui entretient un lien primordial avec la terre et le troupeau. Toutes les nuances entre le nomadisme et le sédentarisme y ont existé : le nomadisme transhumant, la transhumance nomade, l’élevage chez les sédentaires et le labourage occasionnel chez les nomades. La pluie est attendue avec impatience en automne et au printemps ; lorsqu’elle tarde à tomber, on fustige les comportements "déviants" des hommes, on active la pratique rituelle y compris la prière rogatoire ou la fiancée de la pluie. Un rapport existe à la mer aussi, l’activité de pêche étant traditionnellement complémentaire de la vie agropastorale. Sur terre comme en mer, les biens circulent et s’échangent moyennant contrepartie ou simplement pour nouer des liens, agrandir le cercle de relations, entretenir l’amitié, le voisinage ou la solidarité.

2. L’honnêteté a rang de vertu

Le travail bien fait est toujours considéré comme une valeur ; l’honnêteté est hissée au rang de vertu. Les deux étant des horizons vers lesquels il faut constamment tendre. La réalité des rapports sociaux montre la faillibilité des humains sur ce registre ; mais il est toujours bon de rappeler le "droit chemin" même aux plus honnêtes gens. Le prêche religieux, le récit hagiographique, le conte moraliste, le proverbe, l’adage, le poème, entre autres, servent à appuyer le propos du prédicateur, du troubadour, du conteur, de l’aède ou du simple prosateur. Dans la répétition infinie, on recherche moins à convaincre qu’à rappeler. Une morale suprême, diffuse et immanente, finit ainsi par entacher les rapports sociaux, les comportements, le langage, les formules de politesse, les attitudes et les convenances.

3. Le sacré chevillé au corps

Les relations sociales qu’entretiennent les gens, notamment les jours de fêtes ou de réjouissances, de deuil ou de détresse qui ponctuent la vie, sont consolidées par un rapport étroit au sacré. Bien plus large que la religion, le sacré comprend à la fois cette dernière ainsi que toutes les formes de religiosité et de sacralité qui caractérisent la société marocaine. Le sacré se trouve à deux niveaux : (i) au niveau horizontal, on le retrouve partout sur le territoire quelle que soit la latitude ou l’altitude, en plaine, en montagne, au désert ou sur les côtes ; (ii) au niveau vertical, il irradie tel un réseau d’ondes, chaque point sacré émettant sur un rayon donné (source sacrée ; arbre ou forêt ; rocher ; sommet de montagne ; santon de village ; saint-patron de vallée, de ville ou de région ; zaouïa ; oratoire de quartier ou de village ; mosquée cathédrale…). Sans parler des personnages détenant la baraka et qui vont de la voyante locale au prêcheur à l’aura nationale, en passant par plusieurs niveaux intermédiaires de compétence ou de popularité.

4. Savourer un repos bien mérité

Les éleveurs, les paysans, les commerçants et les artisans font tous preuve d’un amour pour le travail bien fait. Mais ils savent savourer un repos bien mérité : chez les éleveurs, les jours de tonte des moutons donnent lieu à une intense activité ludique ; chez les paysans, des jours sont chômés pour se reposer, se purifier ; chez les artisans et les commerçants, il est encore aujourd’hui coutume, dans les médinas, de fermer boutique le vendredi. On se purifie, on s’habille proprement pour visiter un parent ou un voisin ou simplement faire un tour en ville ou au village. À Marrakech, entre artisans, on prépare une tangia (cruche où l’on cuit la viande dans les cendres du feu d’un hammam) et on va la déguster ensemble dans un jardin à la lisière de la ville. Cela se termine toujours par une bruyante dakka marrakchia, cette mixture de chants et de danses masculines dont le rythme monte crescendo au son des crotales, des tambours, des tambourins et des mains que l’on frappe, les doigts en éventail.

5. Un fin négociateur

Le produit agricole, pastoral, artisanal est d’abord destiné à satisfaire la consommation familiale, celle de la communauté, mais il n’échappe pas à l’échange, à la circulation. On a dit du marocain qu’il est un être négociateur. Tout est prétexte à marchandage : le tas de légumes dans un souk comme le mouton de l’aïd ou le 4x4 dernier cris. On en profite pour discuter de choses et d’autres avant d’en revenir à l’objet de la vente. Il a du mal à accepter l’affichage des prix : cela est déroutant et louche. On préfère l’effort de dénicher le juste prix au vulgaire étiquetage. On redoute d’être roulé, on redouble de pugnacité dans la négociation. On utilise moult subterfuges pour embellir la marchandise, louer la qualité du service ou, côté acheteur, pour négocier le meilleur prix arguant, par exemple, que l’on veut acquérir deux paires au lieu d’une. Le marchand ne s’y trompe pas qui hausse le prix, pertinemment convaincu qu’il devra accepter de l’abaisser le moment venu.

6. la solidarité est un devoir

Dans une nature adverse, la complémentarité des hommes et leur solidarité sont bien plus que nécessaires. Sur les deux tiers du pays, il pleut si peu et de manière irrégulière que la productivité des pâturages et des terres cultivées en est réduite. Les épidémies, les guerres intestines, les troubles consécutifs aux transitions dynastiques ajoutent à l’état d’insécurité dans laquelle se sont trouvés les Marocains pas mal de fois au cours de leur histoire. Pour y faire face, un échafaudage social complexe est mis en place depuis la plus haute antiquité. Il s’appuie sur la famille, les liens de parenté, les liens généalogiques réels ou fictifs. La commensalité est sacrée. Le partage de la nourriture fait des commensaux des alliés qui se doivent assistance réciproque. Des pactes d’alliance appelés tada étaient scellés entre groupes de différentes dimensions. Le partage de la nourriture (ou du sel, en référence à un ingrédient clé du repas) ne peut être enfreint sous peine de malédiction. Elle est encore aujourd’hui invoquée pour rappeler les liens qui unissent (et continuent d’unir) des commensaux ; quel que soit le degré de parenté entre eux. L’hospitalité est, bien plus qu’une obligation, un devoir (voir article L'hospitalité).

7. L’Amazigh est un farouche guerrier

La défense de sa terre est un autre caractère du Marocain. L’Amazigh, on l’a dit et écrit, est un farouche guerrier : depuis la plus haute antiquité, sa terre convoitée lui a appris à se sacrifier. Les épisodes du chef Aedemon en révolte après l’assassinat du fils de Juba II, le roi Ptolémée, par Caligula (40 J.-C.), de Koseïla repoussant l’armée de Oqba (VIIe siècle), des Saâdiens défendant les côtes contre les Espagnols et les Portugais (XVIe siècle), et plus récemment de la résistance à la colonisation franco-espagnole (1907-1936) en sont des exemples édifiants. Les armes gravées sur la pierre ou ciselées dans le métal, la maîtrise de la fantasia et des jeux équestres, les danses guerrières en sont quelques marques culturelles distinctives. Bien évidemment, cela n’exclut pas des traîtrises, des mésalliances et des veuleries. Cela n’exclut pas des comportements bien humains de peur de la mort, de crainte pour soi, de trahison, mais il y a toujours quelqu’un pour rappeler le devoir aux réticents, comme le fait de marquer leurs habits de henné par les femmes à l’heure du combat. Moins pour en faire la risée de tout le monde que pour pointer du doigt la lâcheté.

8. Une richesse halal

La recherche de la richesse est légitime. L’accumulation de biens et de titres est bien vue lorsqu’elle est exempte de tout reproche. À l’opposé, toute ostentation est réprouvée. Il est indécent d’exhiber sa richesse autrement que sous la forme de largesses dûment canalisées et/ou institutionnalisées. L’architecture reflète ce penchant pour un égalitarisme primordial, qu’il s’agisse des villages à double pente du Nord méditerranéen accrochés aux flancs de montagne, des Ksours du Sud saharien entourés d’enceintes protectrices ou des maisons agglutinées derrière leurs murailles dans les médinas. Là comme ici, se déploie la même sobriété des façades, la même modestie des formes, la même humilité, cette demeure n’étant qu’un gîte provisoire pour le passage de l’humain finissant sur une terre qui n’appartient durablement qu’à son créateur. C’est ainsi que le faste n’est concédé qu’à quelques personnes qui, en contrepartie, doivent faire montre de générosité à l’égard du plus grand nombre. Des mécanismes économiques, sociaux, politiques et éthiques permettent une régulation, un contrôle des individus par la communauté, des cycles de redistribution. La zaouïa est l’institution typique mise à contribution dans pareil cas. Lorsque ces mécanismes fonctionnent mal, déraillent ou sont détournés, la contestation est ouverte, parfois violente. Lorsque l’accumulation de la richesse est conjuguée à l’accaparement du pouvoir, que la contestation devient un acte dangereux, une croyance messianique conforte l’attente de jours meilleurs. Le mahdi, ce sauveur intemporel, est incarné par un contestataire au sens égalitariste aigu.

9. Pouvoir de syncrétisme

L’emprunt est la règle plutôt que l’exception. Les Marocains empruntent à d’autres cultures de la même manière qu’ils expérimentent et inventent des choses et des idées qui leur sont propres. Depuis les temps protohistoriques, on observe des témoins matériels de ces emprunts multiples. Ils deviennent de plus en plus évidents à mesure qu’on avance dans le temps. Les objets découverts par les archéologues dans les sites renseignent sur cette faculté d’emprunt que les Marocains partagent, du reste, avec les autres peuples de la Méditerranée et d’ailleurs. Mais cette faculté n’est pas passive ; elle assimile l’objet de l’emprunt, l’adopte, l’adapte, parfois le transforme pour le couler dans le moule culturel local. Les exemples sont nombreux. Celui du thé est probablement le plus typique  (voir article L'hospitalité).

Ces traits profonds de la culture marocaine ne sont pas visibles partout et à toutes les époques de la longue histoire du Maroc. Il s’agit, plutôt, de plafonds moraux que la société semble s’être fixée, vers lesquels les individus se doivent de tendre, sans cesse et indéfiniment. Aujourd’hui, la culture marocaine a fait l’expérience de changements profonds. Des formes traditionnelles ont connu divers modes d’adaptation, ont disparu ou sont en train de disparaître. Des formes nouvelles ont été introduites telles que le théâtre, le cinéma, la peinture, la sculpture, la photographie, le concert de musique, la vidéo, etc. Les supports de création et les modes de diffusion se sont diversifiés et modernisés. D’autres modes de consommation culturelle ont été adoptés et largement acclimatés. Les contenus eux-mêmes se sont enrichis de nouvelles thématiques parfois conformes aux standards moraux ambiants parfois contestatrices et critiques du consensus majoritaire. Ce tiraillement, souvent caractérisé par le binôme tradition et modernité, est ce qui semble caractériser la culture marocaine aujourd’hui.

Film Tapis, parterres du Maroc (source INA 1948)

Ce film sur l'art du tapis au Maroc, montré sous ses aspects ethnologiques, sociologiques et techniques, nous convie à un voyage à travers le Maroc de 1948. Le périple démarre au pays Zayane où une grande fête célèbre le travail des artisans tapissiers. Sur les hauts plateaux de l'Atlas, l'élevage des moutons, puis la tonte, sont des activités importantes, mais c'est sur les côtes marocaines que la laine des animaux est dégraissée. Elle est ensuite cardée, filée puis teinte. Selon les tribus, la réalisation et les motifs des tapis sont différents. Après Zayane, la visite continue dans les régions de Fez avec les tapis des Ait Youssi, de Marrakech avec les tapis Chichaouas, les tapis des Ait Ouaouzguite, de Rabat, etc. La France a créé à Rabat un centre de documentation du tapis marocain ainsi qu'une école où des enfants, parfois très jeunes, sont formés aux techniques traditionnelles du tapis. Au Maroc, la réalisation d'un tapis, de la fabrication de la trame au décrochage de l'oeuvre du métier à tisser, s'accompagne de rituels religieux ou magiques. Ce film nous permet de les découvrir. (source INA Centre cinématographique marocain - Actualités Françaises 1948)


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