Les Arènes ou lorsqu’on toréait ferme à Casablanca

Image de couverture: 
Une des trois têtes de taureaux accrochées au mur de la salle. Elles sont tombées dans les Arènes de Casablanca.

Rares sont les casablancais qui se souviennent des corridas, mais beaucoup évoquent les concerts ou spectacles internationaux auxquels, enfants, ils ont assisté dans ces mêmes arènes.

Séquence après séquence, au fil des photographies, se déroule sous nos yeux une corrida de qualité, c’est-à-dire élégante et sanglante.
Les scènes sont saisissantes de vérité. On croit entendre la clameur monter des gradins noirs de monde. Où sommes-nous ? Dans une quelconque cité andalouse ? En Amérique latine ? Non, bien que le public soit de type exclusivement européen, nous sommes à Casablanca. En atteste, si besoin est, cette enseigne publicitaire, bien lisible sur les clichés et reconnaissable entre toutes : « Ameublement Sidoti », du nom du célèbre magasin de la rue Gallieri, aujourd’hui avenue Driss Lahrizi.
La série de photographies est anonyme et date vraisemblablement des années 1930, si l’on en juge par les costumes. Nous ne savons quand exactement, ni par qui furent construites les Arènes de Casablanca. De belles arènes de style néo-mauresque, répondant parfaitement aux normes du genre. Et puis, qui étaient tous ces aficionados ? Durant le Protectorat, une grande partie du prolétariat blanc, celui des quartiers Aïn-Chok et Maârif, était d’origine espagnole.
En 1953, un Catalan organisateur de corridas, Vincente Marmaneu, de passage à Casablanca, tombe amoureux de ces arènes, alors à l’abandon, et décide de les faire revivre.

Vue aérienne des arènes de Casablanca. Circa années 1930.

Paco Camino, Domingo Ortega, Luis Bienvenida, Antonio Ordonez, Luis Miguel Dominguin et bien d’autres stars de la tauromachie se sont produits à Casablanca ces années-là. En 1969, c’est le célébrissime Manuel Benitez dit « El Cordobès » qui offrit à la ville son ultime corrida.
Mais, si rares sont les Casablancais à savoir qu’on a toréé ferme à Casablanca, beaucoup ont les yeux qui brillent lorsqu’ils évoquent un des concerts ou spectacles internationaux auxquels, enfants, ils ont assisté dans ces mêmes arènes. Au hasard et dans le désordre : Faïrouz, Hollyday on Ice, Sacha Distel, Les Temptations…

Détruites à la fin des années 1970, pour spéculation immobilière

Les nostalgiques de ce Casablanca sixties élégant, insouciant et cosmopolite, pouvaient, jusqu’à il y a deux ans, faire un tour à La Corrida. Le restaurant espagnol, jadis jet-set, était tenu par Solange, la veuve de Don Marmaneu, décédé dans l’attentat de Skhirat. À La Corrida – rue Al Aaraar, ex Gay-Lussac, Mers Sultan – on trouvait un décor délicieux bien que déliquescent. Patio ombragé et azulejos. Aux murs, les têtes de taureaux tombés à Casablanca. Le plafond était couvert d’affiches tauromachiques. D’authentiques habits de lumière, naguère portés par d’illustres matadors, étaient posés sur des chaises sévillanes. Encadrées ou rangées dans les albums, quantité de photographies : Jean Marais, Michel Simon, Fernandel et autres vedettes du music-hall ou de flamenco… Les Arènes de Casablanca furent détruites à la fin des années 1970, pour des histoires de spéculation immobilière, semble-t-il. Pas malin, quand on sait qu’en lieu et place, on ne trouve aujourd’hui qu’un modeste square – boulevard d’Anfa, vers le croisement Zerktouni.

JAMAL BOUSHABA

Source : Casamémoire le Mag


Galerie: 
Détail de la chatoyante peinture murale exécutée par Patrick Frank à la manière de Christian Bérard dans une des salles du réstaurant La Corrida.
Pablo Picasso à Casablanca. Il était venu, l’espace d’un weekend, accompagner Pierrette Le Bourdiec, une femme qui toréait à cheval. On le voit esquissant un geste de matador devant Pierrette qui rit aux éclats.