Souvenirs cinématographiques

Image de couverture: 
Construit en 1935 par l’architecte Marius Boyer, ce cinéma de 2000 places était connu pour être le plus grand d’Afrique de son époque. Victime de la spéculation foncière, il sera détruit dans les années 1970.

Président de la Commission de numérisation, de modernisation et de création de salles de cinéma, Andaloussi nous conte son rapport aux obscures salles casablancaises de sa jeunesse.

Casablanca est née au moment où l’automobile et le cinéma étaient rois. Ville nouvelle, vouée à l’économie, Casablanca n’a pas de monuments historiques notables. Ses véritables monuments sont ses garages et ses cinémas. Aujourd’hui encore, ils rythment la ville. Ce sont nos repères urbains. On dit : « J’habite à côté du Lynx, à deux pas de Auto-hall ou en face du Rif. »
Les premières salles de cinéma de Casablanca ont été ouvertes dans la médina avant 1914. Casablanca est connue dans le monde entier grâce au film de Curtis dont elle est, nous le savons tous, physiquement absente. Ce qui me paraît absolument extraordinaire, c’est que, dans les années 1930, les décors que proposaient les films hollywoodiens, alors en vigueur, étaient ceux-là même dans lesquels vivaient, de façon tout à fait quotidienne, le spectateur casablancais. La modernité était de part et d’autre de l’écran. Les premiers cinémas de Casablanca étaient – sont toujours – ce qu’on appelait alors des cinémas-théâtres. C’est-à-dire qu’ils étaient dotés d’une fosse d’orchestre, d’une véritable scène, de coulisses, bref de tout ce qui est nécessaire pour assurer des spectacles de music-hall ou des représentations théâtrales. En 1938, selon les publications de l’époque, le Rialto programmait « les films les plus célèbres et les plus récents, en même temps qu’à Paris, quelques fois plus tôt que dans la capitale même. »

Construit en 1958 par Domenico Basciano, le cinéma Rif était à la pointe de la modernité non seulement par son design mais également par sa localisation, l’actuelle avenue des FAR, alors tout juste percée par l’urbaniste Michel Ecochard.

Personnellement, j’ai découvert le cinéma au milieu des années 1960. J’allais aux matinées enfantines de l’Eden-Club. Il y avait aussi, tous les dimanches matin, des projections pour les jeunes dans l’annexe de l’église Notre-Dame. L’entrée était à 50 centimes. On nous passait des Tarzan, des dessins animés de Tex Avery, du Louis de Funès… Plus tard, j’ai accompagné mes parents au cinéma. C’était, à chaque fois, un véritable événement. Nous allions à l’ABC, à l’Empire, au Colisée mais surtout au Vox. Je me souviens que j’étais particulièrement impressionné par le gigantisme de ce dernier. J’aimais beaucoup tous ces halls d’entrées tapissés d’affiches. Je trouvais les ouvreuses très élégantes. J’attendais l’entracte avec impatience pour leur acheter des glaces ou du chocolat qu’elles portaient joliment dans un panier. Je demandais souvent à mes parents, la permission d’aller aux toilettes. C’était pour moi l’occasion de circuler dans ces espaces qui me semblaient très luxueux. J’étais impressionné par le balisage dans les allées. Je me demandais ce qu’il y avait derrière ces beaux rideaux de velours rouge. J’étais fasciné par la hauteur et l’ampleur des plafonds, la richesse des ornements, ces gestes architecturaux généreux, élégants et aériens.

Au milieu des années 1970, on a détruit Le vox et L’apollo

Façade de l’ABC, boulevard Mohammed-V.

A l’époque, le cinéma, ce n’était pas seulement le film, c’était aussi, une certaine atmosphère, un cérémonial. Mes parents appréciaient particulièrement les films à grand spectacle. Avec eux, j’ai vu Autant en emporte le vent, Laurence d’Arabie, Docteur Jivago, Guerre et Paix, Sissi l’Impératrice, Spartacus avec l’incontournable Kirk Douglas. Adolescent, j’ai connu d’autres cinémas. Des cinémas de quartier. J’avais enfin un budget à gérer, je voulais le rentabiliser au maximum. Je voulais aussi choisir mes films. Avec mes amis du lycée Mohammed-V, nous allions au Mamounia dans la nouvelle médina voir des westerns spaghettis. Quand on allait au Vox, on prenait des places au poulailler où nous avons vu A tout casser avec Johnny Halliday et Abi Faouka Achajara, avec Abdelhalim Hafez. Le film comportait 53 baisers, nous les avions comptés ! C’était en 1973.
Au milieu des années 1970, on a détruit le Vox ainsi que L’Apollo, une petite salle à laquelle j’étais très attaché.
Au début des années 1980, c’était au tour du Triomphe. En fait, c’est années-là étaient marquées non seulement par l’abandon et le délabrement des salles de cinéma de Casablanca mais plus généralement par l’abandon et le délabrement de tout le centre-ville auquel on a fini par tourner le dos. C’est une histoire que nous connaissons tous. Une histoire triste ! Mais l’espoir est là. Au début des années 1990, certaines de ces salles mythiques ont été rénovées. Je pense notamment au Lynx qui, tel un phoenix, a connu une véritable renaissance. Aujourd’hui, je ressens un profond plaisir à y retourner. Ce lieu reste pour moi une véritable leçon en matière d’architecture et de loisirs. Je suis conscient qu’aujourd’hui la mode est aux multiplexes de type Gaumont. Mais elle est aussi, et fort heureusement, à la rénovation des anciennes salles. Il faut sauvegarder ces sanctuaires du 7e art que sont les cinémas de Casablanca. Mais pas seulement. Les salles de cinéma qui existent un peu partout dans le Maroc sont un patrimoine d’une valeur universelle dont nous sommes aujourd’hui dépositaires.

PROPOS RECUEILLIS PAR JAMAL BOUSHABA

Source : Casamémoire le Mag


Galerie: 
Construit en 1951, par Dominique Basciano, le Lynx il reste le plus beau cinéma de Casablanca. Rénové, son décor d’origine, tout en courbes, a été exalté par la palette vive de Sofia Tazi.