Rachid Sebti : que des femmes pour créer…

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Rachid Sebti, artiste peintre

Né à Larache, Rachid Sebti a poursuivi des études brillantes à l’Ecole nationale des Beaux-Arts de Tétouan, pour migrer par la suite vers la Belgique  afin d’intégrer l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles. Son talent s’est révélé avec force à travers la peinture d’après nature et en gravure.

A l’issue de ses études, il a reçu plusieurs distinctions notamment la Médaille du Gouvernement belge et le Prix de la ville de Bruxelles. En outre, il a remporté  plusieurs médailles et titres honorifiques lors de concours de peinture et de dessin. Il a créé en 2001, un timbre-poste tiré en six millions d’exemplaires,  puis une palette de cinq timbres sur le thème « la Wallonie Idyllique » en 2006. Une année après, La Poste marocaine lui a confié la réalisation de quatre timbres.

 

Des femmes, de la lumière et beaucoup de couleurs constituent l’univers artistique de Rachid Sebti. A travers une maîtrise du geste, l’artiste représente des femmes dans des scènes quotidiennes, des moments d’allégresse, ou encore dans des états de solitude ou de détente.  Sebti s’introduit avec subtilité dans l’univers sensuel des femmes pour ressortir son atmosphère et la beauté naturelle des corps. Un désir ardent de beauté ressurgit à travers les poses des personnages, mais surtout à travers la lumière, qui est présente en permanence dans ses créations pour faire jaillir les matières et les postures…Plus qu’un effet technique, la lumière pour Sebti est un élément majeur de la création, qui s’associe harmonieusement avec les couleurs chaleureuses et vives de l’univers  féminin.

Nous avons rencontré Rachid Sebti  le temps de lui poser quelques questions.

e-taqafa : Comment êtes-vous  devenu un artiste MRE ?

Rachid Sebti : Après avoir obtenu mon diplôme à l’Ecole des Beaux-Arts de Tétouan, je voulais poursuivre mes études à l’étranger et revenir au Maroc par la suite, sans avoir le projet de travailler ou de m’installer en Europe. Une telle décision était, en fait, dans l’ordre des choses, et contrairement à beaucoup de lauréats qui  ont choisi l’Espagne,  je n’ai pas suivi cet itinéraire et  j’ai opté pour la Belgique.

e-taqafa : Etudiant, comment avez-vous vécu la migration ?

Rachid Sebti : Pour poursuive mes études à l’étranger, je me suis jeté à l’eau, lors de ma première année à l’Académie Royale de Beaux- Arts,  je n’avais pas de bourse et c’était difficile. En fait, j’étais témoin de l’immigration des années  soixante, je côtoyais des Marocains et je voyais comment leurs vies évoluaient et s’amélioraient…j’assistais à leurs retours au pays pendant les vacances avec les cadeaux... La deuxième année, j’ai pu obtenir une bourse de l’Unesco puisque j’étais un étudiant brillant.

Les œuvres que j’ai réalisées après mes études en Belgique n’avaient aucun lien avec le thème de l’immigration mais de manière générale, je pense que les « autochtones » en Belgique mettaient tous les Marocains qu’ils soient étudiants ou travailleurs dans le même sac, nous étions considérés comme des étrangers. Dans les années soixante -dix j’ai vécu comme la plupart des Marocains en Espagne l’expérience de l’immigré qui  ne trouve pas dans le pays d’accueil son eldorado.

e-taqafa : Etes-vous revenu au Maroc après vos études ?

Rachid Sebti : Quand j’ai fini mes études, j’ai tenté de revenir au Maroc puisque c’était le but, j’y suis revenu mais reparti aussitôt en Belgique pour aller plus loin dans mon aventure. Une fois en Belgique, vivre de mon art à l’époque était difficile. Je me suis orienté vers un autre domaine qui est le dessin et la création pour le textile. J’ai travaillé pendant quelques années en tant que cadre dans une grande entreprise de textile mais je vivais la frustration de ne pas créer. Je sentais que j’avais un don et lors de mes études j’étais toujours parmi les meilleurs à l’Académie Royale, je trouvais que c’était dommage de tout abandonner. Et un jour, j’ai pris la décision de me consacrer entièrement à mon art.

e-taqafa : Comment s’est déroulée votre première exposition en Belgique ?

Rachid Sebti : Pour ma première exposition à Bruxelles c’était difficile, en fait j’étais un artiste perçu différemment. Je me rappelle même qu’une collectionneuse d’art m’avait exprimé  sa déception de ne pas voir des chameaux dans mes tableaux sachant que je venais du Maroc, je lui ai répondu que le premier chameau que j’ai vu dans ma vie était au Zoo d’Anvers, là où j’habitais au Maroc, au Nord, il y en avait pas.

e-taqafa : Quel était le thème de cette exposition ?

Rachid Sebti : Je ne sais pas pourquoi mais mon thème a toujours été la femme. Pourtant, ce n’est pas une décision que j’ai prise. Même quand j’étais étudiant, j’optais pour les femmes voilées qui portaient le « Hayek »,  à l’image des femmes que je voyais dans mon entourage comme ma mère et ma grand-mère. Je représentais ces femmes avec leurs voiles.  Après mes études académiques, je me suis libéré et là tous les acquis de l’enfant que j’avais emmagasinés en moi commençaient à sortir et mon thème est devenu le corps de la femme.

   

Les femmes que j’ai créées au début de ma carrière ne ressemblent pas à celles que j’ai présentées lors de ma dernière exposition à la bibliothèque nationale du Royaume du Maroc à Rabat. Elles étaient plus audacieuses, plus dénudées, mais ce n’était pas une représentation du nu pour le nu, ce n’était pas mon but, je ne fais pas dans la provocation, je n’oublie pas que je suis aussi porteur d’une civilisation arabo-musulmane et que je suis issu d’une famille traditionnelle.  Mon père est un théologien et un grammairien d’Al-Qarawiyyîn de Fès. Mon milieu familial ne me permettait pas de faire ce genre de provocation mais j’avais cette curiosité qui est liée sans doute à  l’enfance. En fait, quand j’accompagnais ma mère au Hammam, je voyais toutes ces femmes et un jour, une femme a demandé à ma mère de ne plus me ramener au Hammam, je ne sais pas d’ailleurs ce qu’elle lui a dit, mais j’étais interdit de l’accompagner. Depuis, des scènes de cet univers sont restées dans mon imaginaire. Ce n’est pas le thème du Hammam que je cherchais à  représenter dans l’espace de ma toile mais c’était la beauté de la femme.

   

e-taqafa : Quels sont les autres thèmes que vous avez abordés ?

Rachid Sebti : J’ai présenté trois expositions autour du thème de l’enfant.  Ces enfants sont ceux  que je voyais un peu partout  à mon retour au Maroc.  J’ai une mémoire visuelle donc je m’imprègne rapidement de mon entourage.

   

e-taqafa : Traitez- vous  tous les thèmes avec la même touche sensuelle ?

Rachid Sebti : Oui peut- être qu’il ya la même touche sensuelle mais je ne cherche pas la sensualité, je cherche la beauté. Mes récentes créations s’orientent  vers la représentation universelle de la femme, de sorte que la femme, abstraction faite de ses origines, puisse s’identifier à mes personnages. Présenter le corps de la femme dans une optique universelle loin des folklores est une tâche assez difficile, c’est pour cela d’ailleurs que je me remets en question tout le temps.

   

e-taqafa : Peut-on parler d’une création spécifique chez les artistes MRE ?

Rachid Sebti : Actuellement, avec le recul, je pense que cette création spécifique existe. Passer plusieurs années à l’étranger et côtoyer d’autres marocains à l’étranger  m’a démontré que l’éloignement du pays d’origine évoque des sentiments très spécifiques. Une personne qui n’a jamais migré ou  était loin des siens ne peut pas sentir ce dont je parle. A ce niveau, je crois qu’un trait d’union existe entre la création des autres artistes et la mienne. Effectivement, nous devenons très sensibles aux sentiments liés au pays d’origine. Peut- être que si j’étais resté au Maroc, mon thème aurait été autre que la femme, qui est restée un fantasme lointain dans mes souvenirs.

   

e-taqafa : Ya- t-il des points communs dans la création des artistes MRE ?

Rachid Sebti : Je ne compare pas mes œuvres avec celles des autres artistes MRE, mais je pourrais dire que je me suis focalisé sur le corps, d’autres ont choisi peut- être des signes comme les objets traditionnels et malgré cette différence d’objectifs il ya certainement un trait d’union entre les artistes MRE, c’est sûr, c’est aux critiques d’art de chercher et de comparer nos créations.

   

e-taqafa : Que représente le Maroc pour vous ?

Rachid Sebti : Je n’ai pas à expliquer quoique ce soit, en regardant mes œuvres, on ne trouvera pas le Maroc folklorique. J’évite de faire une telle représentation mais je veux que ce pays brille autrement et je suis content de vivre l’espoir et la lumière que le Maroc connaît actuellement. L’avenir ne sera que meilleur j’en suis certain.

Propos recueillis par Fatiha Amellouk


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