Sophia Charaï, chanteuse du monde

Image de couverture: 

Artiste, esthète, Sophia Charaï, révélait avec « Pichu » son précédent album un univers coloré, pêchu, influencé par une vie de voyages, aux rythmes gitans, indiens, à l'image de son âme nomade. Elle signe aujourd'hui « Blue Nomada », nouvel opus au confluent des langues et des rythmes et continue de chanter la vie, la tolérance sous une précieuse alliance de sons aux riches influences, inspiré des musiques du monde.

e-taqafa : Comment êtes-vous venue à la musique ?

Sophia Charaï : Par le biais du chant, de la voix, il était vital de m'exprimer par ma voix. C'est ainsi, que j'ai commencé à suivre des cours de théâtre, qui m'ont peu à peu mené à la découverte de ma voix. Dès ma prime enfance, j'ai le souvenir que la musique tenait une part importante dans ma vie, j'en écoutais énormément, dès l'âge de six ans. J'ai conscience que j'étais à l'écoute de ce don en moi. Je pouvais passer des incontournables du jazz aux grands noms de la musique classique que mes parents écoutaient également. Lorsqu'on grandit dans un environnement comme le mien, on se sent rapidement concerné par le statut de la femme, et au vu de mon caractère fort, la voix des femmes ne me semblait pas suffisamment entendue au Maroc.

e-taqafa : Pourtant vous êtes passée par l'architecture à un très haut niveau...

Sophia Charaï : J'ai en effet, suivi les cours de l'Ecole Spéciale d'Architecture. On y chantait du matin au soir avec un pianiste et une équipe de professionnels, prise par un travail de mise en scène, notre énergie se déployait à bâtir des décors artistiques. Puis, j'ai connu un cheminement qui m'a peu à peu mené à une riche recherche de compositeur : je me produisais alors sur des scènes ouvertes comme le Théâtre du Trévisse. J'étais face à un vrai public, une salle de renom, j'en retiens une rare magie... De grands artistes tels que Jamel Debbouze, Dany Boon y ont fait leurs armes. Cette expérience nous a permis d'apprendre notre métier au contact du public sur de nombreuses scènes parsiennes.

e-taqafa : Au sein de cet univers artistique, y a-t-il eu des rencontres déterminantes ?

Sophia Charaï : Oui, Mathias Duplessy, avec qui j'ai commencé à monter un groupe qui se produisait sur scène. En amont, j'avais un projet avec plusieurs compositeurs que j'ai quitté après ma rencontre avec Mathias. Nous avons ensuite enregistré deux titres, l'un en anglais, l'autre en français avec les musiciens de Liane Foly, intitulé « Les hommes et les gants », produit par « Revue Noire ». Puis, Mathias et moi-même avions le souhait de chanter en arabe, Mathias Duplessy étant profondément influencé par les musiques du monde.

e-taqafa : Parlez-nous de la couleur de votre nouvel album, « Blue Nomada »...

Sophia Charaï : Il est le fruit d'une expérience très riche et « outsider », j'ai eu envie de changement, je n'aime pas me répéter, je ne voulais pas poursuivre selon la même formation et le timbre déjà connu du précédent album, « Pichu » : j'étais en quête de nouvelles sonorités, d'autres rythmes. « Blue Nomada » est un album qui réunit des titres que j'ai décidé d'écrire et de composer, qui donne à découvrir des compositions signées par Mathias Duplessy et moi-même. Et j'ai de plus, fait le choix de chanter dans toutes les langues : espagnol, portugais, anglais, arabe. Ce nouvel opus, incarne un esprit baroque et hétéroclite. Je dois avouer que « baroque » est un terme qui me définit bien, je suis une amoureuse de la couleur sous toutes ses formes, même si cela implique une évidente part de risque. Ne dit-on pas ? « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire »...

e-taqafa : D'où vient votre inspiration ?

Sophia Charaï : Je suis quelqu'un d'ouvert, de curieux, je ne souhaite pas me cantonner uniquement à un style musical. Je suis une citoyenne du monde, j'aime autant le jazz que le flamenco, la pop musique, le rock et au final, je mélange toutes ces influences avec une bonne dose d'insouciance et de légèreté. " Blue Nomada " rassemble un percussioniste argentin, Minino Garay, un contre-bassiste argentin, Felipe Cabrera et Nicolas Tescari, grand chef d'ochestre qui signe des musiques de films italiens. Et j'avais également, très envie d'aller vers des musiciens de jazz. Très tôt, j'ai eu de vrais chocs émotionnels en écoutant des voix comme Ella Fitzgerald et Billy Holliday. Tout comme le titre " Luluby of birdland " de Sarah Vaughan, qui me remplissait d'une douceur et d'une énergie incroyables.

e-taqafa : Que représente finalement ce nouvel album ?

Sophia Charaï : Un passage vers moi-même, vers ma profondeur et un virage important. Il propose énormément de pistes, il offre plusieurs portes ouvertes sur de vastes champs d'exploration à la fois juive et russe, music world. Nous avons emprunté des textes de Roumi afin de les mettre en musique selon une plus ample liberté. La voix est surtout un instrument avec lequel on improvise et l'improvisation, c'est s'affranchir de ce qu'on connaît.

e-taqafa : Vous avez mis le feu sur la scène de Jazzablanca, secouez les casablancais assis au premier rang lors de votre concert il y a deux ans. Souhaitez-vous revenir vous produire au Maroc !

Sophia Charaï : Bien sûr ! J'adore donner des concerts au Maroc ! Pour une artiste marocaine qui vit en dehors de son pays natal, c'est primordial de renouer aves ses racines: je ne me suis jamais sentie aussi heureuse que lorque je chante pour mon pays et le peuple marocain, au plus fort de festivals ouverts au grand public, à mes yeux, c'est fantastique. C'est une façon de rattraper tout ce temps où je ne suis pas là et surtout, communiquer avec la jeunesse. Nous sommes face à un contexte où tout est possible et il appartient aux artistes de délivrer un message de tolérance et d'ouverture à notre jeunesse par la voie de la création.

Propos recueillis par Fouzia Marouf.