Tala Hadid, grand angle

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Photographe avérée dont les œuvres fleurissent les musées des capitales internationales, Tala Hadid, est aussi cinéaste. Ayant vécu à Londres et New-York, électron créatif qui gravite autour des astres de la planète du 7e art, elle a réalisé « La Nuit entr'ouverte », long-métrage récompensé par le Grand prix au 16e Festival National du Film de Tanger. Un road-movie sobre et lumineux qui capte des destins en errance.

e-taqafa : Comment êtes-vous venu à la photographie ?

Tala Hadid : A travers le cinéma. Le 7e art, en tant que pratique est venu en premier : ainsi, je suis venue à la photographie avec naïveté et humilité comme cinéaste et réalisatrice. Cela dit, ma relation à la photographie a commencé tôt par une profonde attirance pour ce médium. J'ai toujours été attirée par le pouvoir de l'image et ce que Roland Barthes appelle le «punctuum", cette chose dans l'image qui perce l'âme comme une flèche, ce moment particulier, capturé dans le temps.

e-taqafa : Quelle est la passerelle entre le 8e art et le cinéma ?

Tala Hadid : La passerelle entre la photographie et le cinéma est complexe, à la fois claire et ambiguë. Le plus important est leur rapport au Temps. L'une des connexions les plus élégantes entre ces médiums est celle du théoricien français, André Bazin, qui a écrit sur l'ontologie de l'image photographique. Il examine ce besoin humain d'arrêter l'écoulement du temps par « l'embaumement » à travers une image : il souligne cette qualité objective de la photographie et du cinéma offrant leur relation privilégiée au réel. Enfin, leur rôle principal est de documenter le monde avant de tenter d'interpréter ou de critiquer. Pour Bazin, ce devoir moral est de l'ordre du sacré.

e-taqafa : Parlez-nous de vos origines marocaines ?

Tala Hadid : Elles sont profondément enracinées dans le sein de ma mère, ma grand-mère et mes grands-tantes, m'ayant élevées avec un profond amour, de l’humour et de la force. Ma grand-mère me disait: « tu es les yeux avec lesquels je vois le monde ». Je peux dire à présent, que je vois le monde à travers ses yeux et ceux de ces femmes qui m'ont transmis leur langage et leur regard face au monde.

e-taqafa : Comment est née l'idée de "La nuit entr'ouverte" tourné au Maroc?

Tala Hadid : Elle a germé suite aux années post 11 septembre 2001. A l'aube de la guerre en Irak jusqu'à nos jours. Des années de tumulte et de changement où les yeux de l'Occident se sont rivés sur les aspects "Islamiques", et vers le Sud et l'Orient. J'ai tenté d'observer le monde aussi clairement que possible, en croyant fermement que chacun a le droit et le devoir de se tenir à la frontière et de rêver. Témoins, les mots d'Aimé Césaire: « aucune race ne détient le monopole de la beauté, de l'intelligence, de la force, et, il y a une place pour tous au rendez-vous de la victoire ». Au Maroc, et dans les pays du Sud, nous devrions développer nos nombreux récits et riches histoires : sauvegarder, faire revivre et réinventer nos mythes afin d'adopter de nouvelles façons de survivre à notre époque.

Tala Hadid

e-taqafa : Pourquoi avoir choisi de mettre en scène des acteurs non professionnels?

Tala Hadid : L'objectif de la caméra capte quelque chose d'essentiel et d'ineffable, ce qui est mystérieux et caché à l'intérieur des êtres. J'ai le plus grand respect pour les acteurs professionnels, dans mon film, il y a des acteurs extrêmement talentueux et versatiles, comme Khalid Abdalla, Marie-Josee Croze et Hocine Choutri mais je ne fais pas de distinction entre les personnes qui sont face à l'objectif. Les acteurs "non professionnels", lorsqu'ils sont naturels et fidèles à eux-mêmes, révèlent une énergie singulière et sont très charismatiques. Comme la jeune Fedwa Boujouane, qui apparaît à l'écran comme une comète de lumière.

e-taqafa : Votre film se situe au Maroc, en Turquie et au Kurdistan... Ou avez-vous reconstitué certains espaces?

Tala Hadid : Nous avons reconstitué toutes les scènes d'Irak et du Kurdistan au Maroc, à Casablanca et dans la région d'Ifrane et Azrou. En Turquie, nous avons filmé à Istanbul.

e-taqafa : Etes-vous en projet autour de futurs expositions et films ?

Tala Hadid : Je travaille à mon prochain long métrage qui sera tourné dans le Sud marocain en langue amazighe ainsi qu'à des projets photographiques.

Propos recueillis par Fouzia Marouf