L’art et la culture pour vivre ensemble

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Moustapha Zoufri est artiste peintre, sculpteur, graveur et sérigraphe. Sa démarche artistique a été marquée par sa recherche plastique sur la mosaïque moresque et arabo-musulmane et ses formes géométriques. Sensible à la beauté graphique des lettres arabes, il les a introduites dans ses créations sans que leur présence ne soit exploitée pour accorder un sens littéraire au contenu de la toile. Zoufri refuse la nécessité du sens écrit. Il opte, par la suite, pour une abstraction lyrique.

Résidant à Molenbeek-Saint-Jean, il a réalisé en novembre 2016, « La Flamme de l’espoir », une sculpture installée sur la place communale, en hommage aux victimes des attentats terroristes survenus à Paris et à Bruxelles.

e-taqafa : Pourquoi ce titre « les partitions de l’imaginaire » ?

Moustapha Zoufri : « Les partitions de l’imaginaire », c’est ainsi que le critique d’art belge Jo Dustin a intitulé un article qu’il a consacré à mon travail... Ce titre résume bien le thème de l’exposition qui est un ensemble de formes colorées nées de mon imaginaire et composées lyriquement comme des œuvres destinées à être écoutées et senties en plus d’être vues et appréciées...

e-taqafa : Comment vos calligraphies sont-elles devenues une abstraction lyrique ?

Moustapha Zoufri : A la base mes « calligraphies » sont dénuées de toute signification littéraire ou narrative, donc ce sont des calligraphies abstraites... J’ai choisi, écrit et croisé les mots uniquement pour leur beauté graphique, de ces entrelacs naissent des formes complètement abstraites. Cette démarche artistique est le socle de l’art traditionnel au Maroc qui s’exprime par exemple dans le croisement des deux carrés qui font naître l’octogone (lamtamna) ou l’imbrication des triangles qui produit l’Étoile de David. Dans l’évolution de mon processus de création artistique, le passage vers l’abstraction lyrique est une étape naturelle. J’ai juste remplacé les mots graphiques par des formes libres issues de mon profond imaginaire que par la suite j’ai habillé en couleurs que m’inspire tantôt la nature, tantôt des thématiques sensationnelles... Ces formes représentent ainsi des œuvres que je compose comme des symphonies lyriques que je réalise en peinture et en sculpture...

e-taqafa : « La flamme de l’espoir », à Molenbeek-Saint-Jean, comment vous est venue l’idée de cet hommage rendu aux victimes des attentats terroristes ?

Moustapha Zoufri : A l’origine j’ai voulu réaliser une sculpture sur une place publique à Molenbeek-Saint-Jean pour commémorer les 50 ans de la présence marocaine en Belgique... Entre temps, certains jeunes molenbeekois issus de la communauté marocaine de Belgique ont commis les horribles attentats à Paris et à Bruxelles... En participant aux nombreuses actions pour dénoncer ce terrorisme et rendre hommage aux victimes de ces attentats, j’ai senti vite le besoin en tant qu’artiste d’offrir aux participants un autre moyen d’exprimer cet élan de solidarité. J’ai d’abord commencé par produire des peintures réalisées avec les manifestants sur la place publique... L’engouement positif du public m’a motivé par la suite pour immortaliser ces moments dans une sculpture que j’ai réalisée grâce au précieux soutien du Conseil de la Communauté Marocaine à l’Étranger et la Commune de Molenbeek-Saint-Jean.

e-taqafa : A travers la vie associative vous êtes toujours proche des jeunes à Molenbeek-Saint-Jean, ont-ils des contraintes spécifiques ?

Moustapha Zoufri : Effectivement je suis proche des jeunes en tant qu’enseignant, fondateur et responsable d’un Centre de Jeunes reconnu par la Fédération Wallonie-Bruxelles de Belgique. Les jeunes en général et en particulier les jeunes issus de l’immigration sont à la recherche de leur identité... Pour forger cette dernière, ils ont affaire entre autre à un discours réducteur qui leur fait croire que l’identité est figée, alors qu’elle est évidement plurielle, elle englobe leur propre vécu et tout un apport extérieur. C’est ce concept de l’identité figée qui a été exploité par les extrémistes pour isoler les jeunes les plus fragilisés et leur faire croire que le radicalisme est le seul moyen de défendre leur « communauté confessionnelle »...

e-taqafa : Quel avenir pour la vie des jeunes à Molenbeek-Saint-Jean ?

Moustapha Zoufri : L’éducation à la citoyenneté et à la tolérance comme objectifs permettra aux jeunes de vivre ensemble et de se réaliser dans une société multi-ethnique et interculturelle et de s’épanouir ainsi contre le repli identitaire... Développer chez les jeunes l’esprit critique pour s’opposer aux discours prônant des idées de repli communautaire et d’extrémisme.

e-taqafa : L’art peut-il aider une société à communiquer dans ces moments difficiles ?

Moustapha Zoufri : L’art est par excellence un moyen de communication... La culture et l’art sont reconnus universellement comme excellent moyen pour renforcer le vivre ensemble des communautés qui cohabitent dans toute société… En ce qui concerne Bruxelles, les dirigeants ne tiennent malheureusement pas compte de l’évolution culturelle de la région, ils s’enferment dans la dualité linguistique (francophone, néerlandophone) qui réduit le travail culturel et créatif à une vision bi-culturelle.

e-taqafa : Que représente pour vous cette exposition à l’Espace Rivages ?

Moustapha Zoufri : Cette exposition représente pour moi un retour aux sources dont j’ai rêvé depuis mon installation à Bruxelles... l’Espace Rivages est l’un des ponts culturels que nous, artistes marocains résidant à l’étranger pouvons emprunter pour renouer avec notre terre mère, cet espace nous donne l’opportunité d’être présents sur les deux rives. Je ne manquerai pas de saluer cette louable initiative qui vise le rapprochement de la communauté marocaine à l’étranger avec notre pays.

Propos recueillis par Fatiha Amellouk pour e-taqafa.ma