Une médina cosmopolite

Image de couverture: 
L’actuel siège de l’UMT, ex-résidence générale à Casablanca.

Investie dès le XIXe siècle par une importante communauté européenne, l’ancienne médina* de Casablanca, à l’architecture fortement métissée, ne saurait être dissociée de la ville nouvelle.

Entre les VIIIe et XIVe siècles, la cité d’Anfa connaît un passé aussi riche que mouvementé. En 1469, elle est complètement rasée par les Portugais, en représailles du danger que faisaient courir à leurs navires marchands les corsaires d’Anfa. Après une éclipse de trois siècles, le chef-lieu, rebaptisé Dar-El-Beïda (Maison blanche) renaît sous l’impulsion du sultan Sidi Mohammed Ben Abdallah (1757-1790), dans le cadre de sa politique de fortification des ports de la côte atlantique. Le sultan relève la muraille d’enceinte, fait construire une mosquée, une médersa, un hammam, des fours et des moulins. Il fait venir de Meknès une centaine de soldats Boukharis et installe un contingent de Berbères Haha venus du Souss.

En 1830, Moulay Abderrahmane ouvre le port au commerce extérieur. L’avènement de la navigation à vapeur favorise les exportations de blé et de laine, et les importations de produits manufacturés.

Le bastion de la sqala, construit à la fin du XVIIe siècle, est le seul à avoir subsisté. En le traversant, les habitants de la médina ont accès au port. Le passage est moins fréquenté depuis l’aménagement d’un restaurant sur son site.

UNE MÉDINA METISSÉE

En 1907, date du débarquement des militaires français, Casablanca est une cité d’une cinquantaine d’hectares, entourée d’une ceinture de remparts et comptant quelques 20 000 habitants. Elle est divisée en trois quartiers : le Tnaker, au nord-ouest, occupé par les ruraux vivant dans les noualas (huttes en roseaux) ; le Mellah, au sud-ouest, aux constructions modestes, réservé à la population israélite ; enfin la partie la plus structurée de la cité, le long du port et sur la rive sud-est de la muraille où s’ouvre la porte Bab Souk vers l’intérieur du pays. C’est là que se concentre les bâtiments occupés par les étrangers (consulats, agences bancaires, hôtels et pensions), les maisons édifiées par les négociants marocains, ainsi que les équipements publics.

 

PRÉMICES D’UNE GESTION URBAINE MODERNE

Rapidement, la ville, administrée par les militaires français et espagnols, se densifie. En 1914, la seule population étrangère est estimée à 31 000 personnes, répartie comme suit : 15 000 Français, 6 000 Espagnols, 7 000 Italiens; 7 000 Britanniques et 300 Allemands. Les nouvelles mosquées et kissarias, les maisons des riches Marocains, les écoles – dont celles des Franciscains espagnols et de l’Alliance israélite universelle – le cercle et l’Eglise espagnols, le club international d’Anfa, les synagogues, les quinze consulats – dont les plus importants sont ceux d’Espagne, d’Angleterre, d’Allemagne et de France - témoignent du mélange des cultures dans cette médina à la population métissée et entreprenante. Une médina qui se distingue des cités anciennes, préservées et volontairement séparées des villes nouvelles érigées par les services de l’urbanisme du Protectorat. Avec ses rues, ses places et l’esthétique de ses constructions, elle ressemble aux villes côtières, comme Tanger ou Essaouira, ouvertes au commerce extérieur, où se sont installés les étrangers dès le XIXe siècle. Contrairement aux constructions aveugles des médinas de l’intérieur du pays, ici, la plupart des façades présentent des fenêtres, porte-fenêtres et balcons ouvragés, tandis que les intérieurs conservent souvent des accents plus conformes à la tradition, avec patio, salons marocains et lambris d’azulejos. On y trouve les éléments mélangés des styles du début du siècle : le néo-mauresque, le néo-classique, l’art-nouveau et l’art-déco qui seront utilisés à plus grande échelle dans la ville nouvelle. La médina se videra peu à peu des grandes familles marocaines et des étrangers qui participent à l’essor de la ville nouvelle. La densité étouffante du Tnaker va provoquer son extension à l’extérieur, à l’ouest, tandis que les habitants du Mellah, en partie démoli en 1930, vont occuper le quartier Lusitania.

Bâtiment caractéristique du style méditérannéen de la fin du XIXe siècle.

RÉHABIlITATION DE l’ANCIENNE MÉDINA, UN PROJET D’ENVERGURE

Depuis les années 2000, sur la façade longeant le port, quelques aménagements à vocation touristique ont vu le jour, tels les restaurants La Sqala et le Rick’s café. La majorité des habitants, environ 50 000, souffrent de l’insalubrité et du manque d’équipements de cette médina qui constitue toujours le point de chute des migrants ruraux : ils y trouvent leurs premiers emplois à travers des réseaux constitués. Alors qu’une opération d’envergure, la Marina, vient border sa face nord-est, l’ancienne médina, berceau de Casablanca, a reçu, en août 2010, la visite historique du roi Mohammed VI qui lance le projet ambitieux de sa réhabilitation. Conduit par le gouverneur de l’Agence urbaine de Casablanca, un comité de pilotage – comprenant, outre différents représentants des ministères et offices concernés, divers représentants de la société civile, dont trois membres de Casamémoire(1) – a été constitué. Un budget, de l’ordre de 615 millions de dirhams, a été dégagé. Le programme d’urgence que le comité a mis en place a consisté, en premier lieu, à réaliser les travaux d’assainissement qui se révélèrent plus que conséquents. Le mur d’enceinte de la médina a été consolidé et prolongé par une galerie à arcades, le long de l’avenue des FAR. Les espaces verts intra-muros et alentour ont été réhabilités. L’église Buenaventura a été dûment restaurée. Un centre à vocation socio-culturel a été édifié. Depuis peu, l’ancienne médina de Casablanca est inscrite à l’inventaire national des sites et monuments historiques.

ADAM AYADI

* La médina historique de Casablanca est qualifiée « d’ancienne » par opposition à la nouvelle médina ou Derb Sultan, érigée à partir des années 1930.

1. Rachid Benbrahim Andaloussi, président, Abderrahim Kassou, membre du bureau et ancien président, Mohamed Tangi, membre actif.

Source : Casamémoire le Mag


Galerie: 
Un immeuble résolument européen.
L’ancienne médina de Casablanca reste, aujourd’hui encore, un lieu particulièrement animé.
La mosquée Ould el Hamra a été construite au XIXe siècle, face au port. Ses toits à deux pentes récemment recouverts de tuiles vertes font référence aux nefs de la Qaraouiyine à Fès.
La maison Benjelloun aux portes de l’ancienne médina. En arrière-plan, vue de la nouvelle ville.