Page 6 - Catalogue de l'exposition Du Zellige à l’infini
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religiosité radicale, une décadence irrépres- bien plus tardivement, sur la Réforme et comment figurer l’acte de penser et, au- trois inscrites et traduites dans la matière. Le
sible et les fins de règne ! – : les Hespérides les austérités de l’Europe du Nord. Le nous delà, la pensée en tant que telle, la pensée cœur est une étoile, qui reluit et se répand
sont un jardin dans le cœur des hommes, obsessionnel, obnubilant, d’Amine Assel- elle-même. Maurits Cornelis Escher repré- à travers une infinité de lignes quadrillant
l’Andalousie en fut une possible réalisation. man, tourne autour de la communauté de sente les glissements de l’art, ses métamor- l’espace, non pas morcelé, mais recomposé
Ainsi éduqué dans le savoir-être et la digni- la Mer du milieu, cette Méditerranée formée phoses, ses troubles : il dessine comme on à partir de fractions : le fragment, dans le
té d’un empire perdu, Amine Asselman fut comme un anneau qui a scellé aussi bien prépare un jeu de rôles, un parcours balisé zellige comme dans la mosaïque, ne divise
longtemps préoccupé par la notion de fron- nos destins que nos identités : les frontières où se perdre, une escapade dans un laby- pas, ne rompt pas, ne segmente pas, mais
tières. Grandir aux abords d’un détroit, c’est d’Amine Asselman sont ce lien-là, le trait qui rinthe : où l’objet de la fugue demeure d’en réunit, construit et établit. L’artisan part du
se constituer face au défilé du monde. Très unit les hommes dans leurs différences fon- perdre le fil, sans doute pour mieux trouver plus petit, la pièce moulée ou taillée, à par-
vite, ainsi, il s’est posé avec pertinence les damentalement complémentaires. Nous, de nouvelles voies. Amine Asselman suit un tir de laquelle il développe son idée de la
questions de connaître ce qui nous sépare, Marocains, Maghrébins, Sémites, Turcs, même cheminement. représentation de l’univers : en expansion
mais aussi de comprendre tout ce qui nous Grecs et Italiens, Français et Ibériques. Le zellige est la figure au cœur du travail du depuis le noyau divin. L’œuvre naît de la
lie. En tant que Tétouanais, il est l’héritier Radicalement moderne, l’œuvre d’Amine Tétouanais. Le zellige, c’est le tout que l’on plus petite fraction et atteint la taille d’une
direct, le titulaire même, du vieux rêve de Asselman gagne indiscutablement à ce que va fragmenter à partir d’un rayonnement : mosquée ou d’un palais, en ambitionnant
cette coexistence miraculeuse entre les l’on connaisse le processus qui en consti- au cœur de la mosaïque se trouve l’étoile, y représenter le cosmos entier. La céra-
trois religions du Livre, d’un espace et d’un tue toute l’intelligence. Mais elle demeure l’astre, le soleil, l’unité à partir de laquelle la mique demeure faite de la même terre que
moment d’échanges et de transmission qui encore un objet d’artisanat, ayant gagné diversité va se construire : Dieu. Le zellige celle avec laquelle Adam fut modelé, pas-
ont donné à l’humanité sa raison moderne. ce statut suprême de la simplicité et de la constitue encore l’une des formes que l’art sée par le même feu que celui qui attisa la
Il y a donc dans tout cela une large part de nécessité, où l’objet se contente d’être ce traditionnel maghrébo-andalou a trouvé de conscience, émaillée des mêmes pigments
légendes, mais celles-ci constituent aussi un qu’il est, par la grâce du savoir-faire. Le pro- ne pas laisser le vide tarir le monde, d’em- qui forment le goût pour le ciel, la nature et
pan solide de la construction de nos réali- cédé constitue une forme d’abysses dans plir l’espace de l’idée divine, des prières qui l’art. Le zelligiste voit dans le plus petit frag-
tés. Nous ne sommes que ce que nous nous lesquelles va plonger et se fondre toute la l’accompagnent, d’une cosmogonie où ment de son œuvre l’entièreté de celle-ci,
rêvons. À Tétouan, la Reconquista est en pensée, celle de l’artiste autant que celle l’homme est comblé d’un rayonnement recouvrant l’entier mur contre lequel repose
permanence dans les esprits et le judaïsme de son public. Au-delà du formalisme, c’est céleste qui occupe l’entièreté de l’espace le mihrab : et l’œuvre de se déployer inexo-
forme un alter ego plus qu’une fraternité : a priori dans son élaboration que l’œuvre et du temps. Une façon évidente de théo- rablement, avec inflexibilité, vers l’univers
tout ce que nous nous envisageons dans le d’Amine Asselman se rapproche si intime- centrisme et d’un anthropocentrisme qui qu’elle doit refléter.
reflet du miroir. Ici, l’on vit dans un repli sur ment des faux-semblants – jouant sur le formera la révolution et l’universalisme d’un Taquin, inconscient sans doute, libre, Amine
soi comme seules le savent les aristocraties dispositif de la perception et de la repré- Moyen Âge qui déjà renfermait les ferments Asselman invente un principe exactement
en disgrâce : on ne pense qu’à cet âge d’or sentation – du poète et sorcier Maurits Cor- de la Renaissance. La cosmogonie classique à l’opposé de celui qui a fondé cet art mil-
révolu d’opulence, d’ouverture et de par- nelis Escher : les deux artistes nous invitent du zellige, plus encore théosophique que la lénaire du zellige traditionnel : il pense au
tage. La population entière est empreinte dans un univers d’œuvres à part, en dehors peinture religieuse au Moyen Âge occidental plus petit élément en tant que plus petit,
par cet Andalus qui a sécrété un nous d’une des balisages habituels du marché et de – il y a autant de grâce, autant de spiritualité une manière de phonème visuel – un signe,
richesse que l’on peut qualifier de civilisa- l’histoire de l’art, n’ayant férocement de rai- et peut-être plus de religiosité dans la com- un segment, un bout de ligne, une frac-
tion : celle de la Méditerranée, héritière des son d’être qu’à déconstruire jusqu’à la plus position d’un zellige que dans une icône tion – qu’il va prendre comme une unité
empires grecs orientaux antiques, de Rome pure abstraction ce qu’elles figurent : pour d’Andreï Roublev ou une fresque de Cima- de construction et développer à l’infini,
et de Byzance, de Damas, de Baghdad que ne demeure plus que la pensée. Nous bue –, s’amorce à partir du vide, qu’il faudra mais aussi d’une façon aléatoire ou aléatoi-
et du Caire arabes puis ottomans, quand approchons ici un univers obsessionnel remplir de pensée et de connaissance dans rement formelle, à partir des principes de
l’Occidence, de son côté, s’est fabriquée pour le calcul, la géométrie, la structure : un premier temps, d’action ensuite, toutes la méthode Douat (ainsi expliquée sur la
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