Page 9 - Catalogue de l'exposition Du Zellige à l’infini
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couverture  de  l’édition originale de  1722 :   toire dépendant des rythmes d’une mélo-
 Méthode pour faire une infinité de desseins   die choisie. Chaque motif n’existe que par
 différents, avec des  carreaux  mi-partis  de   rapport aux autres, à la fois dans son être-là
 deux couleurs par une ligne diagonale.) Ainsi,   de carreau de céramique, mais encore dans
 depuis un fragment de rien, un segment   sa déclinabilité et son potentiel dans l’œuvre
 insignifiant, Amine Asselman est en mesure   entière. Chaque motif est modulable en
 de créer un univers : un océan de motifs, un   fonction du motif voisin et de la mélodie
 tapis de signes, un ciel et son horizon, ne   sélectionnée pour ordonnancer le tout et
 représentant que le motif lui-même et pour   finalement former l’œuvre : un parterre, une
 lui-même : déclinable à l’infini, presque   fresque, un dessin, une lithographie ou une
 pour le plaisir de l’infinitude en soi. L’univers   sculpture. Le vertige est là où cette déclina-
 avant Dieu.  Voilà le véritable vertige que   bilité est infinie.
 saura éprouver l’artiste quand il est créateur.   En réalisant ses projets de parterres en
 De même que son public averti. Vertigo.  mosaïques, de murs couverts de zelliges
 Il faut partir de règles que l’on se donne,   inédits, de sculptures décomposées,
 d’un cadre que l’on construit pour confé-  de dessins préparatoires et d’estampes
 rer un sens à sa création : une direction,   montrant  la beauté du  tricotage  des
 un début, un développement et une fin,   motifs selon la grammaire qu’il met au
 puisque même si le concept connaît l’infi-  point, Amine Asselman fait bien penser
 nitude de Dieu, sa réalisation humaine n’est   à cet Albert Einstein qui, une nuit, rêvant
 faite que de limites (aristotéliciennes, pour   la relativité, a donné au monde une
 le coup). Amine Asselman, en bon scienti-  nouvelle façon de se représenter, de se
 fique et mathématicien en herbe qu’il est, a   comprendre, de la même façon que Max
 su qu’il lui fallait définir un corpus, justement   Planck et Niels Bohr pressentirent d’autres
 pour que son idée puisse prendre corps.   systèmes logiques et formulèrent un
 Le champ de phonèmes qu’il décidera de   début des théories quantiques, celles-là
 cultiver et de faire fructifier sera puisé dans   mêmes par lesquelles nous formons notre
 l’univers de la musique. Un lexique comme   réel  aujourd’hui.  Fondateur  d’une  langue,
 un autre, une problématique comme on en   d’un langage, Amine Asselman est le frère
 trouve dès qu’il s’agit de vouloir cerner son   d’aventure de ces chercheurs qui, après des
 sujet : un terrain de jeu où pouvoir déplier   années de réflexion, sur un coup d’instinct,
 sa capacité d’infini ! Le point de départ de   trouvèrent  la formule  qui  accéléra  les
 son œuvre sera donc l’onde sonore, une   choses, déplaça le réel comme on déplace
 image de la fréquence, avant de s’articu-  des montagnes, le modifièrent et en
 ler  au travers  de  gammes  chromatiques.   changèrent définitivement la perception, la
 Amine Asselman prend un segment tel que   synthèse et la représentation. Voilà encore
 formé par une fréquence sonore ; il soumet   les vortex où saura naître notre vertige.
 ce motif à la méthode Douat ; décline à
 l’infini le motif, encastrant les figures iden-  Philippe Guiguet Bologne
 tiques  ou  modulées,  selon  un  ordre  aléa-  Tanger, 2023



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