Page 8 - Catalogue de l'exposition Du Zellige à l’infini
P. 8
couverture de l’édition originale de 1722 : toire dépendant des rythmes d’une mélo-
Méthode pour faire une infinité de desseins die choisie. Chaque motif n’existe que par
différents, avec des carreaux mi-partis de rapport aux autres, à la fois dans son être-là
deux couleurs par une ligne diagonale.) Ainsi, de carreau de céramique, mais encore dans
depuis un fragment de rien, un segment sa déclinabilité et son potentiel dans l’œuvre
insignifiant, Amine Asselman est en mesure entière. Chaque motif est modulable en
de créer un univers : un océan de motifs, un fonction du motif voisin et de la mélodie
tapis de signes, un ciel et son horizon, ne sélectionnée pour ordonnancer le tout et
représentant que le motif lui-même et pour finalement former l’œuvre : un parterre, une
lui-même : déclinable à l’infini, presque fresque, un dessin, une lithographie ou une
pour le plaisir de l’infinitude en soi. L’univers sculpture. Le vertige est là où cette déclina-
avant Dieu. Voilà le véritable vertige que bilité est infinie.
saura éprouver l’artiste quand il est créateur. En réalisant ses projets de parterres en
De même que son public averti. Vertigo. mosaïques, de murs couverts de zelliges
Il faut partir de règles que l’on se donne, inédits, de sculptures décomposées,
d’un cadre que l’on construit pour confé- de dessins préparatoires et d’estampes
rer un sens à sa création : une direction, montrant la beauté du tricotage des
un début, un développement et une fin, motifs selon la grammaire qu’il met au
puisque même si le concept connaît l’infi- point, Amine Asselman fait bien penser
nitude de Dieu, sa réalisation humaine n’est à cet Albert Einstein qui, une nuit, rêvant
faite que de limites (aristotéliciennes, pour la relativité, a donné au monde une
le coup). Amine Asselman, en bon scienti- nouvelle façon de se représenter, de se
fique et mathématicien en herbe qu’il est, a comprendre, de la même façon que Max
su qu’il lui fallait définir un corpus, justement Planck et Niels Bohr pressentirent d’autres
pour que son idée puisse prendre corps. systèmes logiques et formulèrent un
Le champ de phonèmes qu’il décidera de début des théories quantiques, celles-là
cultiver et de faire fructifier sera puisé dans mêmes par lesquelles nous formons notre
l’univers de la musique. Un lexique comme réel aujourd’hui. Fondateur d’une langue,
un autre, une problématique comme on en d’un langage, Amine Asselman est le frère
trouve dès qu’il s’agit de vouloir cerner son d’aventure de ces chercheurs qui, après des
sujet : un terrain de jeu où pouvoir déplier années de réflexion, sur un coup d’instinct,
sa capacité d’infini ! Le point de départ de trouvèrent la formule qui accéléra les
son œuvre sera donc l’onde sonore, une choses, déplaça le réel comme on déplace
image de la fréquence, avant de s’articu- des montagnes, le modifièrent et en
ler au travers de gammes chromatiques. changèrent définitivement la perception, la
Amine Asselman prend un segment tel que synthèse et la représentation. Voilà encore
formé par une fréquence sonore ; il soumet les vortex où saura naître notre vertige.
ce motif à la méthode Douat ; décline à
l’infini le motif, encastrant les figures iden- Philippe Guiguet Bologne
tiques ou modulées, selon un ordre aléa- Tanger, 2023
8 9