Rencontre avec Fatima Mernissi

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Fatima Mernissi, écrivaine et sociologue marocaine

Fatima Mernissi est une écrivaine et sociologue marocaine. Elle a fait de l’écriture un moyen privilégié pour défendre la cause des femmes marocaines. Pour la société civile, elle a fondé les « Caravanes civiques » et le collectif « Femmes, familles, enfants ».

Elle est l’auteure de Sexe, Idéologie, Islam, Éditions Maghrébines, 1985 Le Fennec ; Le monde n'est pas un harem, édition révisée, Albin Michel, 1991 ; Sultanes oubliées : femmes chefs d'Etat en Islam, Albin Michel / Editions Le Fennec, 1990 ; Rêves de femmes : une enfance au harem, Editions Le Fennec, Casablanca 1997 - Éd. Albin Michel Nov. 1998; Les Aït-Débrouille, Editions Le Fennec, Casablanca, 1997 (2e édition, Édition de poche, Marsam, Rabat, 2003) ; Êtes-vous vacciné contre le harem ? Editions Le Fennec, Casablanca, 1998; Le Harem et l'Occident, Albin Michel, 2001; Les Sindbads marocains, Voyage dans le Maroc civique, Editions Marsam, Rabat, 2004…

e-taqafa : Comment avez-vous milité pour les droits de la femme marocaine ?

Fatima Mernissi : J’ai milité en organisant des ateliers d’écriture pour suggérer l’écriture comme arme pour donner la visibilité aux acteurs civiques qui rêvaient de changer le Maroc et ce, à travers un livre collectif. Ces acteurs étaient des ex-prisonniers politiques, des femmes qui ont créé des associations dans les quartiers populaires….j’ai eu l’idée d’organiser ces ateliers suite à mon voyage en Inde où j’ai rencontré Devaki Jain qui travaillait pour les Nations Unies et qui avait organisé un atelier d’écriture à Bangalore. Je me rappelle qu’à ma grande surprise, elle nous a organisé l’atelier dans un garage où sa sœur tissait des tapis. Je n’ai pas hésité à lui poser la question sur ce choix. Elle m’a répondu que pour connaître l’Inde il faut quitter nos chambres d’hôtels et aller vers le peuple et que pour un atelier d’écriture, il n’est pas nécessaire d’avoir beaucoup de moyens mais il est nécessaire que des personnes se réunissent autour d’un but commun. Depuis, Devaki Jain est devenue mon gourou. J’ai dirigé par la suite plusieurs collections comme Visibilité des Femmes, Visibilité Femmes au Maghreb, publiées grâce à l’aimable collaboration de Layla Chaouni, la directrice des éditions le Fennec.

e-taqafa : Comment décrirez-vous la situation de la femme marocaine aujourd’hui ?

Fatima Mernissi : La situation de la femme a changé radicalement. Plusieurs changements sont constatés. Le premier est l’accès de la femme marocaine aux médias, les femmes occupent actuellement plusieurs postes de responsabilités et elles sont plus nombreuses que les hommes dans ce milieu. Le second est l’accès des femmes aux postes de Wali et de Maire. Le troisième est l’accès de la femme marocaine à l’espace public que je considère stratégique car il concerne les femmes sans diplômes c'est-à-dire celles qui tissent et cuisinent. J’ai remarqué, puisque je travaille dans les quartiers populaires comme Yacoub El Mansour à Rabat, que les vendeuses de « msemen » (les crêpes marocaines) se mettent à l’extérieur désormais pour vendre leurs marchandises aux clients tandis qu’avant leur travail se faisait dans les cuisines et ce sont les hommes qui s’occupaient de la vente. La femme ne touchait pas directement l’argent de son travail. Il est de même pour les tisseuses de tapis au Moyen Atlas et notamment à Khémisset, ce sont les femmes qui vendent leur tapis dorénavant directement dans la rue et ne confient plus cette tâche aux hommes comme c’était le cas auparavant. Il est évident que cette émergence des femmes a été accélérée par la volonté royale qui a propulsé le statut de la femme en tant que citoyenne notamment à travers les changements de la moudawana. Enfin, il ne faut pas oublier le rôle des oulémas et des hommes féministes.

e-taqafa : Avez-vous des exemples de femmes marocaines influentes actuellement ?

Fatima Mernissi : Un symbole de l’émergence de la femme citoyenne propulsée par la Moudawana est la princesse Lalla Salma, qui, en plus d’être l’épouse du Monarque, elle s’active sur plusieurs plans. C’est cette émergence des femmes comme citoyennes indépendantes qui exercent leurs fonctions scientifiques ou politiques ou civiques qui fait la richesse du Maroc. Il n’est donc pas surprenant de voir des jeunes communicatrices comme Mbarka Bouaida, Charafat Affilal qui n’ont aucune difficulté à éblouir les Marocains par leur art du dialogue.

e-taqafa : Comment la femme marocaine est perçue par la société ?

Fatima Mernissi : L’homme est violent et la femme est douce telle est la perception classique de la société et pourtant il faut se méfier des stéréotypes. J’évoque le cas de mes parents, c’était en fait ma mère d’origine rifaine qui était violente et non pas mon père. Dans l’histoire du Maroc et d’après les textes de « Jean Léon l’africain » qui n’est autre que Hassan El Ouazzani, dans « Description de l’Afrique », traduit de l’Italien par Alexis Epaulard, Adrien-Masonneuve, Paris 1956, les femmes de Fès au 16ème siècle sont décrites comme étant des femmes violentes qui poussaient les hommes dans les souks. Dans les familles fassies, ce sont les femmes qui dirigent la famille et non pas l’homme. On les voit d’ailleurs dans certains films ou téléfilms notamment dans les rôles interprétés par Amina Rachid et Hammadi Amour dans le téléfilm « Rhimou ». Les femmes fortes qui dominent n’est pas le cas de Fès uniquement. Dans les régions de Souss, j’ai découvert lors de mes voyages que les femmes écoutent silencieusement les hommes pour les dominer. Pour elle, l’écoute c’est le pouvoir. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les femmes de cette région ont émergé comme d’excellentes femmes d’affaires. Il est important de mentionner également qu’actuellement, la société perçoit la femme marocaine différemment puisqu’elle est devenue indépendante matériellement et ne dépend plus de l’homme.

Fatima Mernissi
Photograph : Manuel H. De Leon/EPA

e-taqafa : Comment faut –il réagir pour que la femme acquière tous ses droits ?

Fatima Mernissi : D’abord, il faut accorder une importance majeure à l’éducation des enfants, les enfants des femmes citoyennes devraient avoir une conception correcte de la femme. Les univers clés pour les femmes dans leur lutte sont : l’école primaire, le parlement et les métiers de la justice. Il faut que les femmes accèdent massivement à ces trois milieux d’éducation et de prises de décisions.

Propos recueillis par Fatiha Amellouk

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